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de choses et s’acquitter si bien de toutes ; ny demeurer si net et si présent parmi une si grande diversité de pensées, et avec cela retenir une franchise si peu corrompue parmi les contraintes de la cour. » — Il trouve qu’un tel caractère et un si grand savoir commandent à la fois l’estime et l’affection[1]. Aussi une grande intimité s’était-elle établie entre eux, et Descartes pendant le temps qu’il passa en Hollande adressait ou recevait sa correspondance sous le couvert de Huygens.

Ce n’était pas, d’ailleurs, le seul Français illustre avec lequel le lettré néerlandais devait se lier. Attentif à tout ce qui se faisait chez nous, il avait de bonne heure conçu une vive admiration pour Corneille el il avait contribué à répandre parmi ses compatriotes le goût des ouvrages du poète. Il est même probable que c’est grâce à son entremise que le Cid, traduit en hollandais, avait été représenté à Amsterdam dès le 2 mai 1641[2]. En 1645, Huygens exprime à Corneille les sentimens que lui inspire son génie dans deux épigrammes, l’une en français, l’autre en latin, publiées par les Elzevier en tête de leur édition du Menteur, imprimée à Leyde et que Corneille fit réimprimer en 1648 avec ses remercîmens personnels consignés dans son Avis au lecteur. Le 6 mars 1649, le poète remercie, de son côté, Huygens de l’envoi de ses Momenta desultoria et répond à cette politesse en lui offrant lui-même un exemplaire de ses œuvres, où il l’assure « qu’il ne trouvera rien de supportable qu’une Médée. » Constantin, en lui écrivant à son tour (31 mai 1649), par le de l’effet prodigieux qu’ont produit les représentations de ses pièces données en Hollande par la troupe royale que dirige le comédien Floridor. Il charge ce dernier d’être l’interprète de sa gratitude auprès de Corneille pour le présent qu’il lui a fait et de le louer d’avoir, dans cette nouvelle édition de ses œuvres, donné en tête de chacune d’elles les Argumens c’est-à-dire l’indication de ce qu’elle contient de fable ou d’histoire, « estime que, moyennant cette préparation, le lecteur pourra mieux en comprendre la donnée et ne sera plus exposé désormais « à eschapper tant d’excellentes pointes, ni à laisser tomber à terre tant de roses. » En lui adressant une poésie qu’il a récemment composée sur la mort de Charles Ier » cette rencontre si hautement tragique que peut-être Corneille n’en a jamais traité de plus horrible, » il s’excuse de ces vers composés « non dans son cabinet, mais par boutades, dans l’embarras de la cour et de

  1. Lettre à Golius, professeur en mathématiques à Leyden ; 6 avril 1635.
  2. L’histoire des relations de Huygens et de Corneille est exposée dans l’excellente étude de M. J.-A. Worp : Lettres du seigneur de Zuylichem à Pierre Corneille, brochure in-8o ; Groningue et Paris, 1890.