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IV.

Si lettré que fût Huygens, il était encore plus artiste. Conduite avec intelligence et surveillée de près par ses parens, son éducation avait puissamment développé ses dons naturels. Son père avait pris soin de lui faire apprendre les élémens de tous les arts. Dépassant même le programme qu’il s’était tracé, il avait rendu son fils capable non-seulement de juger les œuvres des maîtres, mais de se rendre compte par ses essais personnels des difficultés que pouvait offrir leur exécution. La curieuse autobiographie découverte et publiée par M. J. Worp[1] nous fournit à la fois des détails précieux sur l’instruction que Constantin avait reçue à cet égard et sur les artistes contemporains avec lesquels il s’était, dès sa jeunesse, trouvé en relations. Il y cite les maîtres auxquels son père s’était adressé pour enseigner le dessin à son frère et à lui. Jacques de Gheyn, auquel il avait d’abord pensé, paraît-il, était déjà trop en vue et sa vie était trop occupée pour qu’on songeât à en distraire les heures de ces leçons destinées à des commençans. Le vieil Huygens les avait donc confiés à Hondius ; mais, de l’avis de Constantin, son talent comme graveur avait donné quelque raideur et quelque dureté à son exécution, et ce n’était pas l’artiste qu’il fallait pour mettre des jeunes gens à même de retracer fidèlement et vite tous les objets de la nature, paysages, animaux ou personnages en action.

Huygens professait pour les deux de Gheyn, le père et le fils, une très vive affection et il parle avec les plus grands éloges de leur talent et de leur droiture morale, de l’habileté à dessiner à la plume qu’avait acquise Jacques, qui, en ce genre, peut soutenir la comparaison avec Goltzius, son maître. Le peintre excellait d’ailleurs dans toutes les parties de son art. Ses connaissances en architecture le faisaient aussi rechercher par le prince Maurice, qui, vers la fin de sa vie, s’était pris de passion pour cet art et ne cessait pas de consulter de Gheyn sur tous ses projets de construction. Constantin avait également connu Goltzius, mais il était trop jeune alors pour l’apprécier à sa valeur. Il cite ensuite, en caractérisant d’un mot juste leur talent, des marinistes tels que H. Vroom et J. Porcellis ; les paysagistes, van Goyen, Esaïas van de Velde ; puis dans le groupe des italianisans : Bloemaert, Uytenbroëck, P. Lastman et les deux Pynas ; enfin les portraitistes M. Mierevelt et Ravesteyn. Quant à Rubens, après avoir proclamé l’universalité de son génie, la prodigieuse culture de son esprit, son inépuisable

  1. Oud-Holland ; 1891, p. 106 et suiv.