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fécondité, il regrette que le malheur des temps ne lui ait point permis d’approcher, comme il l’aurait voulu, un homme qu’il faudrait égaler pour pouvoir le célébrer dignement.

J’ai déjà eu l’occasion de parler ici même[1] de la partie la plus curieuse de ces mémoires de Huygens, je veux dire celle où, avec une clairvoyance vraiment prophétique, applaudissant au génie précoce de Rembrandt et à sa puissante originalité, il lui prédit les plus hautes destinées[2]. En sa qualité de secrétaire du prince Frédéric-Henri, Constantin eut bientôt l’occasion de témoigner au jeune artiste toute l’admiration qu’il éprouvait pour son talent en lui commandant une suite des tableaux de la Passion. C’est sans doute aussi grâce à son influence que Rembrandt avait eu à peindre les portraits de Maurice Huygens, son frère, et de l’amiral Van Dorp, son beau-frère. Quelques années après, alors que le maître était de plus en plus délaissé du public, il continuait à le patronner et augmentait graduellement le prix des acquisitions qu’il lui fit. Dans le poste qu’il devait occuper si longtemps, il s’employait de son mieux à servir les intérêts de l’art et ceux de ses maîtres.

Avec l’avènement de Frédéric-Henri et la prospérité croissante du pays, les arts commençaient à être en honneur à la cour. Le prince s’était construit plusieurs résidences et il s’appliquait à les orner. Sachant lui complaire, son secrétaire le tenait au courant de toutes les occasions qui pouvaient s’offrir de faire pour lui les achats les plus avantageux et les plus honorables. Mais Huygens est surtout pénétré de la responsabilité que lui impose sa situation, à raison des encouragemens officiels qu’il convient d’accorder aux arts. Malheureusement, à part Rembrandt, la peinture historique ou religieuse n’était plus guère en vogue à cette époque, et les noms de Dirck Bleker, des de Bray, des de Grebber et des autres italianisans qui la représentent à ce moment dans l’école hollandaise n’y font pas grande figure. Tout en les chargeant de commandes importantes, Huygens était bien obligé de se rabattre sur les artistes d’Anvers, mieux préparés à des travaux de ce genre. On comprend qu’il se tourne tout d’abord vers Rubens, pour solliciter son concours et renouer avec lui des relations interrompues. Vers le milieu de novembre 1635, au retour des opérations militaires qui s’étaient prolongées assez tard cette année, il lui écrit d’Arnheim pour lui exprimer le désir qu’il a depuis longtemps de le voir, a de jouir de sa belle conversation, »

  1. Les Biographes et les Critiques de Rembrandt, numéro du 15 décembre 1891.
  2. Cette autobiographie a été écrite vers 1629-1630. Rembrandt, qui vivait encore à Leyde dans la retraite, avait alors vingt-trois ou vingt-quatre ans.