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entrevue à Venise, restait toujours à ses yeux la patrie des arts. Quelle que soit sa prédilection pour Rembrandt et quelque désir qu’il ait de lui voir conserver intacte son originalité, Huygens ne peut se tenir de lui reprocher son indifférence absolue vis-à-vis de cette contrée où les artistes d’alors allaient à l’envi chercher le complément de leur éducation. Cette indifférence qui, chez le jeune homme, va jusqu’à envisager comme perdus les quelques mois qu’il lui faudrait pour parcourir cette contrée, Constantin la considère « comme une de ces parcelles de folie qu’on retrouve parfois jusque chez les plus grands esprits, » et il le plaint sincèrement d’une disposition d’esprit qui le privera de si précieux enseignemens. Il ne laisse pas cependant de le louer de « son opiniâtreté au travail, qui le condamne à une vie absolument sédentaire et ne lui permet pas d’accepter aucune distraction à ses études, même la plus innocente. »

Si grandes que fussent les aptitudes de Huygens pour les arts du dessin, celles qu’il manifesta pour la musique étaient encore plus remarquables. Il professait pour elle une véritable passion que son père et sa mère, musiciens tous deux, avaient développée chez lui dès son enfance. Sa précocité à cet égard fut extrême et, à l’âge le plus tendre, il chantait déjà d’une voix très juste. Il avait aussi assez assoupli ses mains pour jouer avec habileté de plusieurs instrumens : l’épinette, l’orgue, le théorbe et la guitare. La musique devint dès lors et demeura toute sa vie son passe-temps préféré. Où qu’il aille, il emporte avec lui son luth pour charmer les ennuis des longues traversées. En voyage, il recherche et trouve partout des compagnies où la musique est en honneur et les relations qu’il noue pour satisfaire son goût comptent pour lui parmi les meilleures, car a il aime de passion les âmes musicales. » À Londres, lors de sa première ambassade, à peine arrivé, il se fait inviter chez l’agent du duc de Savoie, un sieur Biondi, qui avait un collège de musiciens, tous Italiens. On lui a promis aussi de lui faire entendre la musique de la reine, dont tous les exécutans, au contraire, sont Français, avec des voix admirables. Il prend un plaisir extrême à suivre les fêtes données par les Killigrew, chez lesquels on faisait d’excellente musique ; la maîtresse du logis, bien que mère de douze enfans, était une chanteuse accomplie et toute sa maison, comme il dit, n’était qu’un concert. Lui-même, d’ailleurs, raconte, avec une évidente satisfaction, à ses parens les succès qu’il obtient comme virtuose en Angleterre. Un jour que Jacques II rendait visite à l’ambassadeur des États, Noël de Caron, chez qui Huygens était logé, ce dernier avait été présenté au roi, qui le pria de lui jouer un air de luth, et il s’en était si bien acquitté que « le prince l’avait beaucoup loué