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une impression d’ensemble, est poussée dans le détail jusqu’à l’imitation figurative des mots. Il cherche à représenter chacun d’eux par un mouvement correspondant des notes, ascendantes pour exaltans, descendantes pour De profundis, prolongées pour dilataverunt, précipitées pour furor[1], etc. Malgré ces légers défauts qui, à le bien prendre, ne proviennent que de l’exagération d’une idée juste, le mérite de plusieurs des compositions de Huygens est très réel. Ainsi que l’indique le titre bizarre de son recueil, il y vise au pathétique. Ses récitatifs, d’un ton simple et soutenu, sont aussi d’un dessin très franc, et dans son harmonie assez variée il apprécie fort, comme il le dit lui-même, « ces belles dissonances qui font aujourd’hui les délices de l’Italie. »

À en juger par les tableaux des peintres de société, tels que les Palamedes, Dirck Hals, Ter Borch, Metsu et les Mieris, il semblerait que la musique profane tînt une plus grande place dans les distractions de la société bourgeoise ; elle n’était cependant guère moins délaissée alors que la musique religieuse en Hollande. Sauf les publications de Starter (1621) et de Valerius (1626) qui contenaient des airs notés, les recueils de chansons, bien qu’assez nombreux, ne renferment le plus souvent que les paroles de ces chants, et chacun d’eux était précédé par l’indication d’un thème emprunté généralement à d’anciennes chansons françaises bien connues dans le pays, comme : la Gavotte d’Anjou, la Mostarde nouvelle, la Boisvinette, le Petit sot de Bordeaux ou Belle Iris[2].

Le plus souvent, du reste, ces recueils n’étaient pas imprimes et se composaient de pièces manuscrites que les dilettanti se communiquaient entre eux. C’est en vain que des amateurs plus sérieux, comme Huygens, s’efforçaient de réagir contre l’indifférence croissante du public. Le poète J.-H. Krul, celui-là même dont Rembrandt peignit le portrait en 1633, avait essayé l’année d’après d’acclimater à Amsterdam un théâtre d’opéra qu’il inaugurait par une pastorale dont il était l’auteur ; au bout de peu de temps, sa tentative avait échoué. La cour, d’ailleurs, ne donnait aucun encouragement à l’art musical et c’est à peine si, dans les livres de comptes de la maison d’Orange, on rencontre de loin en loin quelques dépenses faites à cet égard par les princes de cette maison.

On comprend qu’en présence d’une telle pénurie, Huygens recherchât avec ardeur autour de lui les trop rares occasions qu’il

  1. Musique et musiciens au XVIIe siècle, par W. Jonckbloet et J. Land, p. 269.
  2. Nous relevons les noms de ces chansons dans un album appartenant à Gesina Ter Borch, la sœur du peintre bien connu.