Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/613

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sous peine de perdre cette indépendance si péniblement acquise, il faut la défendre à la fois contre l’ennemi du dehors, le papisme, et au dedans contre les dissensions et les luttes des sectes rivales, prêtes à s’entre-déchirer. Dès sa jeunesse, Huygens a compris la nécessité des efforts entrepris pour créer et réglementer un culte qui puisse s’adapter à l’esprit de la nation. Maintenant que les décisions du synode de Dordrecht préparées par les princes de la maison d’Orange ont prévalu, au prix de violences et de cruautés qu’il n’eût sans doute point conseillées, il ne les juge plus, il les accepte. Il considère comme des ennemis de l’État ceux qui voudraient les remettre en question et croit qu’il convient de maintenir le régime de rigueurs établi contre eux. De même, dans les relations de société, il montre un esprit large, dépourvu de préjugés ; mais à la condition que ces questions de croyances soient tenues en dehors. Quand il s’aperçoit qu’elles sont agitées, qu’elles tendent à pénétrer dans les rapports amicaux, — ainsi qu’il arriva à propos de Tesselschade et de Vondel, qu’il crut un moment circonvenus par les Jésuites, — alors il se refroidit et devient de plus en plus réservé, parfois même agressif. Autrement, la forme du culte lui semble accessoire et comme pour les esprits les plus éclairés de son temps, l’essentiel à ses yeux, c’est tout ce qui peut rendre l’homme meilleur, plus maître de lui, plus dégagé de ses passions. Dans tout ce qu’il dit à cet égard, on sent, à certains accens, ce ton de sincérité absolue et de naturelle dignité que peuvent seules donner les habitudes d’une vie tout entière.

Avec son âme aimante, Huygens tenait les liens de la famille pour aussi sacrés que ceux de la religion. Il avait appris dès son berceau tout ce que vaut l’affection de parens tels qu’étaient les siens, tout ce que peuvent sur l’éducation d’un enfant la tendresse d’une mère et l’intelligente sollicitude d’un père. Dans cet intérieur où tout était en commun, les exemples ne lui manquaient pas. Il avait été à même de voir le précieux soutien que se prêtent, dans l’accomplissement de leurs devoirs, des époux unis par une mutuelle affection. Les traditions d’honneur, l’amour du travail, l’aisance et le nom respecté qu’il avait reçus d’eux, il les considérait comme autant de dépôts qu’il devait fidèlement transmettre à ses propres enfans et de son mieux il s’était employé à accroître un pareil trésor. De quelque soin que fût alors entourée la jeunesse en Hollande, Constantin pouvait reconnaître combien encore il avait été favorisé, avec quelle sagesse prévoyante avait été conçu le programme de ses études, si variées, si heureusement entremêlées pour éviter le désœuvrement aussi bien que la fatigue, pour faire la part du corps aussi bien que celle de l’intelligence. Grâce à des soins si vigilans,