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en ville après celui qui devait les manger et qui les trouvait toujours très bons. Les dames Delessert et leurs amies demandaient des mantilles à la comtesse de Montijo, et ces mantilles passaient par les mains de l’académicien qui était convoqué à l’essayage. Il est question d’une certaine mantille qui seyait très bien à la marquise Pasquier. Pour apprendre à la porter, elle s’était inspirée d’un croquis que Mérimée, dans son dernier voyage d’Espagne, avait fait d’après la seconde fille de Mme  de Montijo.

La comtesse adressait à Mérimée ses amis d’Espagne qui allaient à Paris. Il lui recommandait les siens qui se rendaient à Madrid. C’est ainsi qu’il lui demandait de faire bon accueil à M. Charles de Mazade, qui partait avec une mission de M. de Salvandy, et, au retour, il l’engageait à lire les intéressantes études que le jeune écrivain, déjà remarqué et estimé, avait rapportées de ce voyage. Il réclamait aussi sa bienveillance pour le prince Albert de Broglie, lorsqu’il fut attaché à l’ambassade de Madrid. Il dit qu’il lui sera reconnaissant de s’occuper du prince, « parce qu’il a de sérieuses obligations au duc de Broglie. » Mais il y eut un complet malentendu entre l’Espagne et le prince Albert de Broglie. Il la jugea très frivole, elle le trouva un peu trop grave.

Mérimée tenait Mme  de Montijo au courant des allées et venues de la diplomatie. Quelquefois, il lui crayonnait d’un mot les nouvelles figures. Ainsi lorsque Bulwer, frère du premier lord Lytton, est nommé ministre d’Angleterre à Madrid : « Vous allez voir un homme très fou, très coquin et très spirituel, lorsqu’il n’est pas mourant, ce qui lui arrive environ quatre jours par semaine. »

Ces jolies lettres, tantôt gaies, tantôt tristes, qui prennent la couleur du temps et qui se teintent, aussi, des émotions particulières de l’auteur, font songer à des « échos » de journal, mais à des échos qui, par hasard, seraient écrits de main de maître. Et si la comparaison est encore désobligeante pour Mérimée, on peut rapprocher ces lettres de celles que nos meilleurs écrivains, au siècle dernier, adressaient à des princesses curieuses de connaître, au jour le jour, l’histoire de l’esprit français et de la vie parisienne, avec les dessous, les pourquoi et les comment, ce qu’on ne dit pas, ce qu’on ne sait guère et ce qu’on n’imprime que longtemps après. La correspondance de Mérimée avec la comtesse de Montijo est tout cela, et elle a, de plus, ce charme de sincérité et d’abandon qui en fait le journal intime d’un homme d’esprit.

Gens de théâtre, gens de lettres, gens du monde, poètes et assassins, danseuses et diplomates, passent rapidement et se brouillent un peu, de façon à bien donner l’idée de ce brouhaha, de ce