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La première tentative rationnelle qu’on ait à citer dans l’histoire de la direction des ballons est celle de Gifïard, en 1852, soixante-neuf ans après le siège de Mayence. Ce n’était plus un ellipsoïde comme celui de Meusnier, mais un fuseau composé de deux parties, symétriques par rapport au plan médian vertical, et s’allongeant en pointes aiguës. La longueur totale était de 44 mètres. Du filet qui recouvrait toute la partie supérieure, descendaient ces cordages minces et solides que les aéronautes de profession appellent des suspentes, soutenant une quille en bois léger, longue de 20 mètres, au-dessous de laquelle pendait la nacelle. Cette disposition heureuse donnait à l’ensemble une rigidité fort utile pour atténuer, au moins en partie, les oscillations anormales, l’espèce de tangage, qui devait résulter des positions respectives du moteur et du principal centre de résistance. Un gouvernail, formé d’une toile mince tendue sur un cadre, était accroché à l’une des suspentes de l’arrière, et pouvait être manié de l’intérieur de la nacelle où se trouvait également la corde commandant la soupape située au sommet du ballon. Car Giffard n’avait pas eu l’idée du ballonnet à air. Pour monter, il devait jeter du lest ; pour descendre, laisser s’échapper une partie du gaz. Par raison d’économie, ce ballon fut gonflé avec du gaz d’éclairage, lequel est beaucoup moins léger que l’hydrogène pur. La force ascensionnelle était diminuée d’autant. Mais, en 1852, Giffard n’était pas encore millionnaire, et l’hydrogène pur coûte beaucoup plus cher que le gaz d’éclairage.

L’intérêt principal résidait dans le moteur. L’inventeur y avait réalisé de nombreux progrès qui sont restés acquis à l’industrie. C’était une machine à vapeur de la force de 3 chevaux-vapeur, et cependant elle ne pesait que 150 kilogrammes. Elle actionnait, à raison de 110 tours par minute, une hélice à trois branches de 3m, 40 de diamètre. Il fallait une certaine dose de hardiesse pour s’en aller dans les airs, avec un appareil à feu, suspendu à quelques mètres au-dessous d’un ballon contenant 2 500 mètres d’un gaz facilement inflammable. C’était risquer peut-être la même aventure que celle qui coûta la vie à Pilâtre des Rosiers. Les amis de Giffard s’en inquiétaient. Mais il était de ceux dont le cœur est cuirassé de chêne et de triple airain. Il se contenta d’enfermer le foyer dans une enveloppe spéciale et de faire déboucher la cheminée au-dessous de la nacelle. Le tirage s’y produisait, comme sur les locomotives, au moyen de la vapeur, qui, sa besogne faite, s’échappe du cylindre. L’ascension eut le succès qu’en attendait l’intrépide inventeur. Il ne chercha pas à lutter directement contre le vent : « La force de la machine ne me l’eût pas permis, a-t-il