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se détachent en vive lumière), mais comme un repoussoir voulu aux parties blanches. Ce parti-pris brutal et excessif trouble d’une façon fâcheuse l’unité d’une composition puissamment agencée, mouvementée et dramatique, et de laquelle jaillissent, de tous côtés, les morceaux brillans et vigoureux, têtes hurlantes et échevelées, torses dénudés et bras supplians, armures étincelantes et somptueuses étoffes, tout cela peint de main de maître, avec une sûreté et un entrain dont nous n’avions plus l’habitude, et qui nous reportent aux grands jours, aux jours oubliés, d’un art mâle et de la peinture héroïque. Quoi qu’il en soit, ce Charles le Téméraire nous révèle un talent expérimenté qui peut aborder sans peur les plus hautes entreprises. Pour devenir le peintre que nous rêvons, dont nous avons besoin, M. Roybet n’a plus qu’un progrès à faire, à nettoyer bravement et franchement sa palette. L’autre toile qu’il expose, un simple morceau de bravoure, mais d’une facture singulièrement ferme, et cette fois toute en lumière, les Propos galans, nous prouve qu’il n’a pas attendu pour travailler dans ce dessein. Les deux personnages en scène, dans une cour d’auberge, une maritorne épaisse, au teint hâlé, aux bras sales, la robe dégrafée, en train de plumer une volaille, et un trompette de mousquetaires, accoudé sur une table, suant la concupiscence, humant du nez et mangeant de l’œil ces appas débordans, n’ont assurément rien de distingué. On en trouve de semblables chez Hals et chez Jordaens ; la Bohémienne de la salle Lacaze pourrait être la fille ou la sœur de cette cuisinière. Mes bons amis, ne rappelle pas qui veut Hals et Jordaens ! Il ne faudrait vraiment à M. Roybet qu’un peu plus de fraîcheur et de jovialité dans ses colorations pour être tout à fait de la famille. Si ce n’est pas distingué, c’est bien portant, et, par ce temps de névrosisme agaçant, trouver quelque part encore de la santé et de la bonne humeur, cela fait grand bien.

L’énergie, parfois brutale, qui éclate dans le Charles le Téméraire fait quelque tort à la grande toile de M. Munkacsy, Arpad ou la Fondation du royaume de Hongrie en 896, vers laquelle se portent les yeux, en se retournant, dans le fond du salon d’entrée. Bien qu’il ne s’agisse plus là d’une composition dramatique et concentrée, mais d’une composition paisible et développée (les chefs des diverses tribus apportant leur soumission au conquérant hongrois), le premier aspect, même pour une procession solennelle, semble triste et froid. M. Munkacsy a parfaitement compris que, dans une scène de cette nature, régulière et toute en longueur, ses procédés antérieurs d’antithèses colorées (assez semblables à ceux de M. Roybet), qui lui avaient si bien réussi dans ses tragédies évangéliques, n’étaient plus cette fois de mise, car un milieu