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tant de provinces, sur la misère de tant de nations, sur les désordres effroyables que causait une si longue guerre. » Ses admirateurs l’avaient surnommé l’évangéliste de la paix, un Hercule gaulois, dont la parole était une chaîne d’or. Il aimait à se souvenir du sermon de la Passion qu’il avait prononcé le 30 mars 1646, dans l’église des Cordeliers, en présence de tous les plénipotentiaires et de leur suite. C’était, disait-il, la plus illustre assemblée qui eût jamais été. « Ces messieurs étaient toutes personnes choisies, instruites dans les sciences et les belles-lettres, et certes il fallait être ferré à glace pour tenir ferme contre eux dans la conversation ordinaire… Italiens, Français, Espagnols, Allemands, Danois, Transylvains, Suédois, catholiques, protestans, luthériens, calvinistes, juifs, anabaptistes, composaient mon auditoire. Car, en vérité, on peut dire que cette capitale de la Westphalie était pour lors le concours de toutes les nations et de toutes les religions de l’Europe qui, étant si différentes en intérêts, en opinion et en créance, s’accordaient toutefois en ce point de me venir écouter et de se piquer de parler et d’entendre notre langue. » Ses succès oratoires le réjouissaient sans l’étonner ; Tallemant des Réaux a dit de lui que, « pour l’éloquence, il se prenait pour le premier homme du monde. »

Né en 1597 ou 1598, François Ogier était le fils cadet d’un avocat au parlement de Paris. On l’avait destiné à l’église, mais on put douter longtemps qu’il eût la vocation. Il avait fait ses études au collège de Boncour où il se lia avec Colletet et avec tous les amis de Colletet, qui devinrent les siens, et ce fut d’abord dans les lettres qu’il tenta de se faire un nom. Il y avait trois choses qu’on apprenait alors dans les collèges. On y acquérait l’art de composer des chries ou dissertations, en les ornant d’allégories et de comparaisons mythologiques ; on s’aidait à cet effet de dictionnaires qui étaient des recueils d’emblèmes et de citations, et à ces citations on ajoutait celles qu’on avait recueillies soi-même en classe sous la dictée du maître. On apprenait aussi à construire des syllogismes en forme, à aligner des argumens et à faire bonne figure dans une discussion littéraire ou philosophique. Enfin on s’initiait de bonne heure à la science du théâtre. L’Université avait conservé l’usage des représentations dramatiques, et nombre de régens faisaient jouer leurs pièces par leurs élèves. Les bergers enrubannés, les bergères à la bouche de cerise étaient à la mode et on trouvait dans tous les collèges « les décors et les accessoires de la pastorale, des masques de satyres, des trousses de Cupidon, des chapelets et des barbes d’ermite[1]. » Ogier eut toute sa vie l’amour des citations, la passion des controverses, et quoiqu’il n’ait jamais composé

  1. La Vie et les Œuvres de Charles Sorel, sieur de Souvigny, p. 22-28, par Émile Roy, Paris, 1891 ; Hachette et Cie.