Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son éloquence était froide comme glace. Le temps des grandes inspirations n’était pas encore venu, et il est mort sans s’être douté que pour remuer les âmes, les artifices de rhétorique et les belles sentences ne suffisent pas, qu’il faut croire, sentir, aimer et haïr.

Les plénipotentiaires envoyés à Munster emmenaient avec eux une suite nombreuse, composée de gentilshommes, de diplomates, de prêtres lettrés. Le comte d’Avaux était bien aise de montrer à l’Allemagne le prédicateur qu’admirait Paris. Ce fut le 9 octobre 1643 qu’on se mit en route. Le dimanche 14, Ogier prêchait à Reims, à la profession d’une nièce de son excellence. Il ne manqua point « de faire comparaison du sacrifice d’Iphigénie à l’action de cette sainte fille, et d’en tirer les augures de la prospérité et du succès de leur voyage. » Ce voyage, en effet, s’accomplit sans incident fâcheux.

La Hollande lui plut ; il constata avec orgueil que sa renommée s’y était déjà répandue. La princesse Elisabeth, fille aînée du duc de Bohême et petite-fille de Jacques Ier d’Angleterre, lui dépêcha à plusieurs reprises un gentilhomme pour lui témoigner son désir de le voir, et il ne fut point insensible aux complimens flatteurs que lui prodigua « cette fille de grand esprit, » qui comme son grand-père « faisait asseoir les muses dans le trône. » Quelques jours plus tard, il fit connaissance avec M. Descartes, qui lui conta ses disputes avec le fameux Voët d’Utrecht. Il vit à Leyde M. de Saumaise, et ils s’entretinrent de militia Romanorum et Græcorum. Il fut encore plus charmé de M. Heinsius, le célèbre érudit hollandais qui le reçut « avec des caresses extraordinaires. » — « Ce bonhomme ne pouvait se lasser de m’embrasser. Il nous fallut boire ensemble dans son verre, et pour clôture de notre conversation, il me promit une amitié sincère et me donna pour gage de sa parole un de ses livres sur la Poétique d’Aristote. » Amsterdam, son port et ses vaisseaux lui firent une vive impression ; mais ce qui l’attirait surtout, c’étaient les bibliothèques et les cabinets de curiosités. Peintures, médailles, agates, pierres gravées, vases, cristaux, ouvrages des Indes orientales et occidentales, tout l’intéressait également, et il faisait autant de cas des horloges qui vont un an que des tailles-douces d’Albert Dürer et des dessins de Raphaël d’Urbin.

Il aimait les livres et les agates, il aimait aussi la dispute, les controverses, et chemin faisant, il eut maille à partir avec quelques docteurs protestans, qui avaient eu l’imprudence « de l’aboucher. » Pendant son court séjour à Dordrecht, il alla voir le ministre André Colvius, l’un des hommes les plus savans de son temps. On causa belles-lettres et on s’entendit ; mais Colvius s’étant trouvé le soir chez l’ambassadeur, Ogier mit la théologie sur le tapis. La querelle ne tarda pas à s’aigrir, on s’échauffa, on cria, peu s’en fallut qu’on ne se prît aux cheveux ; au bout d’un quart d’heure, le ministre sortit en colère,