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quelques concessions. Jusqu’alors les sociétés secrètes ne s’étaient pas mêlées aux rares combattans ; mais elles étaient réunies et délibéraient. Les rues étaient pleines de monde, et bien des gens pensaient que l’affaire était finie. Vers neuf heures du soir, une foule assez considérable se porta devant l’hôtel des affaires étrangères, que M. Guizot avait quitté. Son secrétaire s’était amusé à faire boire les officiers et les soldats du poste qui gardait le ministère. La foule pressant un peu les soldats, on commanda de la faire reculer en croisant la baïonnette. En ce moment, le fusil d’un conscrit partit par hasard. Les autres, prenant ce coup de feu pour un ordre, firent feu et tuèrent ou blessèrent une centaine de personnes, la plupart inoffensives. Grande stupeur de part et d’autre. Il y eut une heure ou deux d’un calme étrange. Tout à coup, on répand dans les faubourgs la nouvelle ; on promène les cadavres sur des charrettes. Les sociétés secrètes se mettent en mouvement. Les ouvriers sortent en foule et on leur donne, par les fenêtres, les armes des gardes nationales. On élève de nouvelles barricades.

« Cependant le roi n’avait pu s’entendre avec M. Molé ; il avait appelé MM. Thiers et Odilon Barrot. Nul ordre n’était donné. On demanda au maréchal Bugeaud s’il croyait possible de repousser l’émeute. Il répondit qu’il n’en savait rien et qu’il craignait d’avoir à tuer dix mille hommes. Après l’avoir nommé commandant général des troupes, on le remplaça presque aussitôt par Lamoricière, avec l’ordre de faire évacuer la ville par les troupes et de la laisser à la garde nationale. Vous devinez l’effet que produisaient tous ces ordres et contre-ordres successifs. Les officiers ne savaient à qui obéir. Ils empêchaient les soldats de tirer. Le roi abdique enfin, le jeudi matin, sans avoir pris aucune mesure. Il quitte les Tuileries au moment où une assez grande masse de peuple s’y portait. Les troupes se retiraient vers leurs casernes, déchargeant leurs armes en l’air et les donnant au peuple. Personne n’eut l’idée de réunir cinq ou six cents hommes autour de la chambre. La duchesse d’Orléans qui, seule, a montré beaucoup de courage dans toutes ces scènes, vint à pied avec ses deux enfans dans la chambre. Le président Sauzet, qui mourait de peur, ne savait que dire ni que faire. Une centaine d’hommes armés, pas davantage, pénètre dans la chambre, en criant et menaçant. Avec la garde nationale et les soldats du poste, il eût été facile de les chasser, mais tout le monde perdait la tête : les députés se croyaient entourés par vingt mille hommes. Vous avez vu le reste dans les journaux. La révolution a été faite par moins de six cents hommes qui, la