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toutes deux, par la marine et nocturne cantilène des Pêcheurs de perles. Toujours ce refrain le premier revenait errer parmi nous. Les arpèges de l’accompagnement suivaient le rythme des vagues ; la mélodie flottait sur les eaux ; le grupetto final couronnait chaque strophe comme d’un flocon d’écume, et ce paysage achevait si merveilleusement cette chanson, qu’elle ne paraissait plus l’inspiration d’un homme, mais pour ainsi dire la respiration des choses autour de nous, l’haleine de la nuit, du ciel et des eaux… Et voilà comment, de même qu’une mazurka de Chopin pour le mélomane de Bourget, pour nous, la sérénade des Pêcheurs de perles est demeurée un de ces airs qu’on ne saurait entendre sans tressaillir.

Vous parlerai-je, après cela, des décors de l’Opéra-Comique ou même des interprètes ? Mlle Calvé, dans le finale du premier acte, a égrené des notes de cristal. Mais qui me rendra « mon beau navire, » comme dit la vieille romance, et sur la mer endormie toutes les étoiles de mai ?


Si vous aimez, fût-ce après le plus beau voyage, à goûter la douceur du retour, à retrouver le ciel et surtout le parler de notre France, allez, un lendemain de la Walkyrie, entendre la Phryné, de MM. Auge de Lassus et Saint-Saëns. Sujet grec, chanteuse américaine, musique française. Dès les premières mesures, on comprend, on se sent à l’aise et chez soi. L’ouvrage commence bien : gentil prélude, joli chœur de femmes, charmant duo de ténor et de baryton. Ensuite, nous descendons un peu : « L’opérette nous guette. » Mais le second acte renferme une admirable chose : le récit de Phryné, terminé en trio. Cela est beau comme du Lucrèce, comme le Centaure, de Maurice de Guérin, comme les vers de Musset :


Où Vénus Astarté, fille de l’onde amère,
Secouait, vierge encor, les larmes de sa mère,
Et fécondait le monde en tordant ses cheveux.


À quoi tient au juste cette beauté, nous essaierons, dans une prochaine chronique, de le déterminer.

Camille Bellaigue.