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divers de la révolution, appelée par euphémisme l’évolution. « s’il fallait pour s’unir, ajoute-t-on, attendre qu’on fût d’accord sur toutes les questions, on ferait vraiment la part trop belle aux trembleurs, toujours prêts à se fédérer pour la résistance. » Ces trembleurs ne sont autres que nous-mêmes, bourgeois de toute envergure, qu’un autre député du même parti futur, M. Maujan, appelle les « libérâtres des centres conservateurs. » Et comment ne tremblerait-on pas pour les intérêts vitaux de la nation, lorsqu’on voit des hommes qui aspirent au gouvernement poser allègrement la question d’une substitution de la propriété collective à la propriété individuelle, comme si de semblables théories ne devaient pas se résoudre, en pratique, par de vulgaires spoliations ? Maintenant, la fédération des trembleurs va-t-elle se faire ?

Tandis que les radicaux sortent ainsi de la concentration républicaine, par la porte de gauche, les néo-républicains, les « ralliés, » si j’ose me servir de ce nom qu’on leur jette comme une injure, vont-ils y entrer par la porte de droite ? Rien n’empêche de le penser. Le chef de ce groupe parlementaire, dont l’attitude, longtemps un peu timide, rappelait assez, au bord de la république, celle de la baigneuse de Falconnet au bord de l’eau, où cette nymphe pose modestement un pied, voire un bas de jambe, sans risquer le reste du corps, le chef de ce groupe a, depuis plusieurs mois, multiplié les déclarations énergiques et indiqué quelques-unes des bases sur lesquelles pouvait se faire un accord : « Je crois, a dit M. Piou, dans une réunion publique, qu’après vingt-trois ans l’expérience est assez complète, pour comprendre qu’on ne doit pas perdre son temps dans des protestations généreuses et stériles. Il faut jeter résolument sa barque dans le courant, et suivre le fil de l’eau en ayant soin de manœuvrer pour éviter les écueils. »

Ce langage de la droite républicaine sera-t-il entendu par les 150 députés actuels de la droite pure, et surtout par leurs électeurs ? Cet appel à l’union sera-t-il entendu aussi par ces 200 et quelques membres de la gauche qu’on nommait jadis des opportunistes, et même par les 25 membres du centre gauche ? Ces derniers, on ne peut se le dissimuler, sont méfians ; leur isolement leur déplaît moins que des promiscuités dangereuses. Pour plusieurs d’entre eux, tous les gens de gauche sont trop à gauche, et tous les gens de droite sont trop à droite. À leurs yeux, M. Casimir Perler est déjà un peu avancé, M. Hély d’Oissel est encore trop réactionnaire. La méfiance pour les néo-républicains s’accentue bien davantage à mesure qu’on s’avance vers la gauche gouvernementale. Cette fraction est hantée des souvenirs du Petit chaperon rouge, elle ne veut pas laisser choir la bobinette qui ouvre sa porte. « Méfiance est mère de sûreté, disait la semaine dernière, à Troyes, M. Lavertujon. Enregistrons la soumission, le désarmement des