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Un si noble attachement à la monarchie est d’autant plus louable, à certains égards, qu’il est plus désintéressé et qu’il ne peut, dans les prévisions humaines, avoir en vue aucune récompense. Ceux d’entre nous qui sont nés au sein de ces illusions héréditaires et qui les ont perdues sur le grand chemin de la vie, ne sauraient jeter la pierre aux fidèles qui les ont précieusement conservées. Mais aussi ces fidèles qui, depuis le départ de Charles X pour l’exil, n’ont pas une seule fois regardé le ciel, la veille d’une fête nationale, — saint Philippe, 15 août, 14 juillet, — sans désirer qu’il plût le lendemain, ne peuvent blâmer ceux qui veulent enfin souhaiter le beau temps et s’en réjouir, mettre au vent quelques drapeaux et allumer quelques lampions, — sans croire pour cela que des lampions allumés fassent exclusivement le bonheur d’un peuple, — ceux qui ne veulent plus vivre dans une opposition systématique, triste état d’esprit qui amène à sans cesse supposer, prédire, hélas ! espérer peut-être, quelque catastrophe prochaine.

Cet état n’est évidemment pas celui des générations nouvelles, et c’est sur leur adhésion à la république que compte le gouvernement pour balayer les bancs du côté droit. Mais qui donc lui garantit qu’il y fera asseoir ses amis ? Ne sait-il pas que l’héritage de ces places qu’il s’attribue est ardemment convoité par les radicaux et les socialistes ? Si cette concentration que tous les républicains ont jusqu’ici pratiquée, parce qu’elle était nécessaire, tout en la maudissant, parce qu’elle était immorale, si cette concentration doit se rompre, si cent vingt radicaux doivent suivre le panache rouge de M. Goblet sur le chemin des aventures, est-il prudent aux premiers personnages de l’État d’acculer à une résistance désespérée les hésitans de droite qui leur tendent la main et offrent de faire avec eux une alliance utile au pays ? Il faut à tout prix empêcher que les MM. Lafargue de demain n’obtiennent des sièges, comme précédemment, par l’appoint des voix conservatrices.

Le gouvernement présent qui n’a ni tous les défauts que lui prêtent ses adversaires, ni toutes les vertus que lui supposent ses amis, a eu du moins ce double mérite de maintenir, depuis bientôt un quart de siècle, la paix à l’extérieur et l’ordre à l’intérieur. Ce respect de l’ordre qui a fait suspendre l’immunité parlementaire de M. Baudin et l’a livré à la police correctionnelle, c’est l’un de nos biens les plus précieux, et l’arrivée aux affaires d’une majorité radicale le mettrait certainement en péril. Notre premier ministre disait, il y a quelques jours, à des commissaires de police qui lui étaient présentés : « J’aime à vous donner le nom que vous portez ; c’est un nom dont on ne rit plus… » Il a raison ; mais il ne faudrait pas que la France laisse entrer au parlement un bien grand nombre d’amis de MM. Baudin, Damay ou Ferroul, si elle veut pouvoir coffrer en toute liberté les anarchistes suspects, et si elle tient à ne pas voir, ailleurs qu’à Guignol, rosser journellement le commissaire.