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à la tête de la direction des postes ; homme de beaucoup d’esprit et doué d’une rare sagacité, M. de La Valette portait à son ancien général, à son bienfaiteur, l’attachement le plus sincère, et jugeait toujours d’autant mieux sa position que, malgré son admiration pour ses talens, il se faisait peu d’illusions sur ses fautes.

Or, il regardait alors la situation de l’empereur comme très critique, et dut par conséquent attacher une grande importance à ce qui se passait sous ses yeux, entre deux hommes qu’il jugeait capables de tout, dont l’un, M. de Talleyrand, ne lui avait jamais, malgré sa grande réputation, inspiré ni estime ni confiance, et dont l’autre, M. Fouché, avait toujours été l’objet de son aversion la plus prononcée[1]. Il écrivit donc à l’empereur tout ce qu’il pensait d’une liaison qui n’avait pu se former que dans un dessein politique, fort opposé à ses intérêts, et bientôt les appréhensions qu’il avait exprimées se trouvèrent confirmées par un fait qui jetait les plus grandes lumières sur les mystères de l’intrigue et en dévoilait clairement la tendance.

Je n’ai point tenu entre les mains les preuves de ce fait, mais ce que j’ai recueilli plus tard de la bouche de M. de La Valette et de celle du duc de Rovigo ne me permet pas d’en douter. En cas de la mort de Napoléon, il fallait, dans le premier moment et quelque parti qu’on voulût prendre par la suite, un homme à mettre à sa place. Les deux nouveaux amis jetèrent les yeux sur Murat, qui venait d’être fait roi de Naples, et dont la lolle vanité s’était montrée peu satisfaite de cette élévation, dans un moment où il comptait sur le trône d’Espagne, qu’il se croyait seul en état d’occuper, et auquel il pensait avoir des droits, attendu son énergique conduite à Madrid pendant les conférences de Bayonne. On doit se souvenir en effet de la révolte qu’il avait comprimée d’une manière si terrible, et qui contribua puissamment à décider l’insurrection de toute la péninsule.

  1. M. de La Valette connaissait mieux que qui que ce fût les hommes qui avaient joué un rôle pendant et depuis le Directoire. Quoique bon officier, il avait été beaucoup moins employé par Bonaparte dans les opérations militaires que dans le cabinet ; mais pour ces dernières il s’était vu, à plusieurs reprises, investi de toute sa confiance, notamment à l’époque du 18 fructidor où il avait été envoyé à Paris pour tout observer, et avec mission de n’engager son général qu’autant que le succès paraîtrait assuré et dans la juste mesure qui pouvait lui convenir. Il s’était ainsi trouvé de fort bonne heure en position de juger par lui-même et d’apprécier M. de Talleyrand, car le 18 fructidor était un de ses faits les plus notables. Le mariage de M. de La Valette, avec la nièce de l’impératrice Joséphine l’avait depuis tout à fait attaché, dans la cour impériale, au parti de la famille de Beauharnais. Il était particulièrement lié avec le prince Eugène de Beauharnais, vice-roi du royaume d’Italie et objet constant de la jalousie de la famille Bonaparte, de Murat surtout et de sa femme. Cette jalousie a eu plus tard de bien graves conséquences.