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pour toutes les négociations, pour tous les arrangemens avec sa sainteté.

Cinq années cependant s’étaient écoulées depuis l’époque du triomphe de Joséphine, et si d’un côté cette longue possession du rang supérieur semblait devoir ajouter beaucoup à ses droits, de l’autre aussi les événemens survenus durant cette période avaient plus d’une fois fait naître des doutes et des regrets dans l’esprit de l’empereur. Depuis plusieurs mois surtout, il était plus que jamais ébranlé par l’évidence des avantages que pourrait lui présenter un mariage contracté avec une des principales familles régnantes de l’Europe. Toutes les alliances politiques qu’il avait jusque-là contractées s’étaient rompues avec une effrayante facilité. En serait-il de même de celle qui se fortifierait par un lien de famille ? La Russie, par exemple, qui l’avait aidé si faiblement dans sa dernière lutte, ne lui aurait-elle pas été bien autrement secourable s’il avait été l’époux d’une grande-duchesse ? Lorsqu’il achevait d’enlever à la maison de Bourbon tous les États qu’elle gouvernait, n’était-il pas nécessaire qu’il rassurât les autres dynasties, en montrant le prix qu’il attachait à unir leurs antiques droits avec ceux qu’il tenait de la fortune et de la victoire ?

Les membres de sa famille, qu’il avait placés sur des trônes, sentaient encore mieux que lui le besoin d’entrer dans la grande famille des rois, au milieu de laquelle ils n’étaient en quelque sorte que jetés par accident. Tous les ministres, tous les grands dignitaires partageaient cette opinion. M. Fouché et M. de Talleyrand se signalèrent dans cette occasion. M. Fouché prit même sur lui une démarche auprès de Joséphine et essaya de lui persuader d’aller au-devant de ce qu’on désirait d’elle. N’ayant pas réussi, il fut nécessairement désavoué, mais c’était un premier pas de fait.

Je me trouvais à Fontainebleau le jour où cette démarche eut lieu, et l’agitation de la cour me l’eut bientôt révélée. Je sus aussi, par mes rapports avec plusieurs personnes attachées au service de l’impératrice, que la scène entre elle et Napoléon avait été touchante, qu’elle espérait encore rendre vains tous les efforts tentés contre elle. Je ne partageai pas sa sécurité, et, comme j’avais trouvé en elle beaucoup d’obligeance lors de l’affaire des radiations que je sollicitais pour plusieurs des membres de ma famille, je ne pus m’empêcher de prendre une part sincère aux chagrins qui l’attendaient. Je revins donc à Paris avec la conviction que son sort était irrévocablement fixé, et que M. Fouché ne se serait pas autant avancé, s’il n’avait été sûr d’être très agréable à celui au nom duquel il avait en quelque sorte parlé ; il ne fallut pas beaucoup de temps, en effet, pour que mes prévisions se réalisassent.