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La lettre que son ministre des affaires étrangères, M. de Champagny, écrivait à ce sujet à M. de Caulaincourt, est curieuse à lire aujourd’hui. Le ministre, en annonçant à l’ambassadeur que le conseil extraordinaire, assemblé dans la nuit du 6 au 7, a voté presque unanimement pour que l’empereur épouse l’archiduchesse, donnait soigneusement les motifs de cette détermination, et on voit figurer parmi ceux qui avaient fait renoncer à la grande-duchesse l’allégation que l’empereur avait dû être blessé du peu d’empressement de la Russie, surtout quand il l’a comparé à celui de l’Autriche[1] : « Comment ! dit M. de Charapagny, l’empereur Alexandre avait reçu l’ouverture qui lui était faite pour placer la dernière de ses sœurs sur le premier trône du monde en lui donnant pour époux l’homme que toute la terre contemple, celui qu’il serait aussi difficile de caractériser qu’il est inutile de le faire, et cependant des délais multipliés semblent avoir été inventés pour servir de subterfuges, pour éviter de répondre ! Tout ajournement n’était-il donc pas blessant lorsqu’il tenait en suspens l’accomplissement des vœux de 40 millions d’hommes et le bonheur du chef de l’Empire, de l’arbitre de l’Europe ? Des délais, en de telles circonstances, pouvaient, ajuste titre, être jugés pires qu’un refus. »

Quant à la condescendance demandée pour la religion de la grande-duchesse, elle était traitée aussi dans cette lettre comme soulevant les questions les plus graves. M. de Champagny disait à ce sujet que « la clause du prêtre grec, qu’il s’agissait d’autoriser à exercer ses fonctions dans le palais même du souverain de la France, pourrait être regardée comme impliquant une intériorité dont la nation française serait blessée. » — Cela est difficile à comprendre. — Il allait jusqu’à relever, comme un grave inconvénient, la différence qui existe entre le calendrier grec et le calendrier grégorien, différence dont il s’appliquait à faire ressortir les gênantes conséquences. La meilleure des raisons, pour la préférence accordée à la princesse d’Autriche sur celle de Russie, pouvait se tirer sans aucun doute du jeune âge de celle-ci. Elle n’avait que quinze années et n’était nubile que depuis fort peu de temps ; l’espérance d’avoir promptement des enfans était donc moins fondée avec elle qu’avec l’archiduchesse, déjà parvenue à l’âge de dix-huit ans.

En dernier résultat, une telle manière de dénouer une affaire, où les amours-propres étaient nécessairement très engagés, ne pouvait manquer d’amener un commencement d’aigreur, dont la principale conséquence et la plus funeste peut-être a été que Napoléon,

  1. Cette comparaison est tirée d’une autre lettre.