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de mauvaises et inutiles chicanes. Ils allaient toujours au fait, s’efforçaient de surmonter les difficultés et d’obtenir des adoucissemens au mal qu’ils ne pouvaient entièrement éviter, mais ne s’irritaient jamais contre les obstacles qu’ils jugeaient impossibles à franchir et cherchaient patiemment à tirer le meilleur parti possible d’une situation évidemment mauvaise.

Dans ces temps extraordinaires, on avait, sans sortir de Paris, le moyen d’étudier le caractère de plusieurs peuples et de saisir les nuances de leur esprit ; car, excepté l’Angleterre, tous les pays de l’Europe, ayant dans la capitale de l’empire français ou d’importantes affaires à traiter ou de grands intérêts à défendre, avaient soin d’y envoyer leurs hommes les plus capables.

Le conseil d’État seul aurait suffi pour qu’on pût se livrer à cette étude, car l’étendue toujours croissante de l’empire nous amenait chaque jour de nouveaux collègues, et la différence était grande entre les manières, les habitudes, les inclinations d’un bourgeois des villes hanséatiques et celles d’un sujet du pape, d’un habitant de Rome ou de Florence.

Nous fûmes, nos commissaires et moi, pendant tout le mois de juin, persévéramment occupés du travail qui nous avait été confié ; nous n’étions pas sans espérance d’obtenir quelques bons résultats ; mais dans les premiers jours de juillet, de graves événemens vinrent interrompre nos travaux.

En France, on désirait la paix plus que jamais. L’obstacle, qui plus que tous les autres empêchait la réalisation de ce vœu, était l’Angleterre. N’y avait-il donc pas moyen de vaincre son obstination ? L’empereur n’en voulait entrevoir la possibilité que dans la plus rigoureuse exécution de son système continental ; beaucoup d’autres pensaient que des négociations, habilement conduites, pourraient faire comprendre à un cabinet, qui déjà une fois avait consenti au traité d’Amiens, que les circonstances présentes étaient encore plus graves que celles de 1802, et que, s’il y avait toujours moyen de susciter des embarras à Napoléon, l’entreprise cependant était plus difficile et plus hasardeuse que jamais. Parmi les hommes qui s’occupaient de cette question, et dont l’opinion devait avoir le plus de poids, se trouvaient M. de Talleyrand et M. Fouché. Mais M. de Talleyrand avait reçu des leçons de prudence, et, s’il a participé aux démarches dans lesquelles s’est engagé son impétueux collègue, rien à cet égard n’a jamais pu être prouvé. L’un et l’autre avaient un auxiliaire très zélé dans le roi de Hollande, qui était persuadé que son frère avait l’intention de le faire bientôt descendre du trône où il l’avait placé, et de réunir à son empire la Hollande tout entière.