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Marbois, qu’il lui avait fallu renvoyer pour toutes ses malheureuses combinaisons pendant la campagne d’Austerlitz[1], mais ne l’était certainement pas à l’égard de M. Fouché, dont il avait depuis plus d’une année impatience de se débarrasser[2] et contre lequel il nourrissait de vifs ressentimens.

Pendant que cette investigation se poursuivait à l’égard de M. Ouvrard, l’empereur faisait écrire en Hollande pour qu’on lui envoyât M. de Labouchère, dont il voulait tirer tous les éclaircissemens que lui seul était en état de donner. Je tiens, au reste, de la bouche de M. de Labouchère, que le roi de Hollande, en lui faisant part de cette injonction, lui laissa la plus complète liberté de ne pas y obtempérer, lui faisant observer qu’un voyage à Paris, dans de telles circonstances, pourrait n’être pas sans péril, qu’il se terminerait peut-être par une réclusion dans le château de Vincennes, dont lui, roi, malgré la protection qu’il devait à ses sujets, n’aurait aucun moyen de le faire sortir.

Il est assez difficile de concilier cet avertissement avec le passage de ses Mémoires où le roi Louis affirme qu’il n’avait entamé, au mois de février, la négociation dont M. de Labouchère fut chargé que sur l’ordre exprès de Napoléon, lequel avait voulu tenter cette voie détournée. M. de Labouchère m’a formellement dit que l’allégation manquait de vérité et que son voyage en Angleterre avait eu lieu à l’insu de l’empereur. Si, en effet, l’assertion du roi Louis était exacte, comment aurait-il pu craindre pour la sûreté de l’homme qui n’avait fait qu’exécuter un plan ainsi concerté ? Quelle opinion avait-il donc de son frère, s’il pouvait en attendre une violence aussi odieuse ?

M. de Labouchère, fort de sa conscience, ne se laissa point intimider, arriva à Paris, se transporta aussitôt chez M. de Champagny et eut avec ce ministre une longue conférence dans laquelle il ne

  1. M de Marbois, ministre du trésor pendant la campagne d’Austerlitz, avait été tellement trompé et connaissait si peu sa situation, que je tiens de son successeur, M. Mollien, que le tableau de cette situation, tel qu’il le reçut de ses mains, portait M. Ouvrard comme débiteur du trésor pour une somme de 40 millions. Une commission, qui fut chargée d’examiner ce compte, porta la dette à 60 millions, que M. Ouvrard ne nia pas, et M. Mollien, ayant voulu revoir lui-même et vérifier tous les calculs, fit monter le débit à plus de 100 millions, à 130 millions, si je ne me trompe. M. Ouvrard ne récusa pas davantage cette dernière fixation.
  2. M. d’Hauterive m’a encore raconté que, sortant après cette scène du cabinet de l’empereur avec M. de Champagny qui y avait assisté, il ne put s’empêcher de lui dire : » Quel homme, bon Dieu ! que votre empereur ! On achète bien cher l’honneur de travailler avec lui ! — Vous êtes difficile, répondit M. de Champagny, si vous n’êtes pas content de la manière dont les choses se sont passées. Avec nous, cela commence souvent aussi mal, et il est rare que cela finisse aussi bien. »