Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/807

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croire que j’ai dérobé à mon aîné la succession du roi notre père. »

Quant à Jérôme, lorsqu’il sortit du collège, son frère avait déjà fait les plus grands pas vers la toute-puissance ; par conséquent, il se crut ne sur les marches du trône. Cette illusion a suffi pour lui donner largement les défauts que produit trop souvent l’éducation des princes. Il n’a guère eu le temps de se signaler que par l’audace peu commune de ses débauches et, cependant, il a su encore tenir attachée à sa fortune et à sa personne la princesse que le sort lui avait donnée pour compagne.

Des trois sœurs, l’aînée, sous le titre de grande duchesse, a presque régné en Toscane ; elle s’y est fait aimer ; cet heureux pays lui a dû des ménagemens que n’a obtenus aucun des États alors réunis à la France. Le souvenir qu’on y garde d’elle est bon, malgré les désordres d’une conduite privée où les apparences n’étaient pas suffisamment sauvegardées. La princesse Pauline, épouse du prince Borghèse, a peut-être été la plus jolie personne de son temps ; elle n’a guère songé à faire valoir d’autre avantage que celui-là. Elle avait accompagné à Saint-Domingue son premier mari, le général Leclerc ; le soleil des tropiques avait été, dit-on, étonné de son ardeur dans les plaisirs ; les fatigues de cette vie ont détruit sa santé ; nous l’avons vue longtemps portée en litière ; elle n’en était pas moins belle, en dépit de cette infirmité.

Il me reste à parler de Caroline, femme de Murat, reine de Naples ; elle ressemblât beaucoup à l’empereur. Moins belle que Pauline, quoique douée des charmes les plus séduisans, elle avait l’art, sans être plus scrupuleuse que ses sœurs, de respecter beaucoup mieux les convenances ; d’ailleurs, tous les goûts chez elle s’effaçaient devant son ambition. Elle avait bien trouvé la couronne de Naples un peu petite pour sa tête, avait fort envié celle d’Espagne, mais enfin elle s’était résignée, et elle a porté avec bonne grâce celle qui lui était échue ; on peut même dire qu’elle y a fait preuve d’assez de dignité. Elle a eu la folie de croire que sa fortune pourrait résister à une catastrophe qui entraînait celle de Napoléon. Dans cette étonnante race, les engagemens les plus sacrés, les affections les plus vives s’évanouissaient aussitôt que les combinaisons de la politique paraissaient les conseiller ; cependant, chacun de ses membres avait au plus haut degré l’esprit de famille. Caroline a participé à la ruine de son frère, auquel elle devait toutes ses grandeurs ; elle lui a porté peut-être le coup décisif.