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Prusse ? Le prince Bismarck, il est vrai, n’épargnait pas les déclarations pacifiques. Mais que de sous-entendus dans ses discours et comme cette paix, dont il se disait gros, paraissait fragile et peu viable !


La paix, je la veux plus que jamais ; c’est précisément pour la conserver que nous devons accroître nos forces, nous rendre plus redoutables à tous. Nous nous sommes unis à l’Autriche et nous lui restons fidèles ; mais, à côté de nos intérêts communs avec cette puissance, l’Autriche en a de particuliers ; la question d’Orient laisse l’Allemagne indifférente. Avec la Russie, nous n’avons point de traité, mais nos relations sont bonnes… Le danger pour nous, c’est la France, qui ne se console point d’avoir perdu deux provinces et dont l’esprit guerrier se réveillera dès qu’elle trouvera de force à s’attaquer à nous. Nous ne voulons point de conquêtes nouvelles, mais nous voulons garder celles que nous possédons et, pour ne les point exposer aux hasards des batailles, il faut qu’à tout prix nous continuions à entretenir chez les Français la conscience de notre supériorité militaire ; c’est le seul frein qu’il soit possible de mettre à leurs ambitions.


Une si rude manière de rassurer le Reichstag l’effraya : il eut peur pour la paix de l’Europe et peur pour son autorité. Par peur, il fit comme les jeunes chevaux : il se cabra, croyant désarçonner le lourd cavalier qui lui ensanglantait les flancs ; ce fut le cavalier qui, d’une secousse brusque, l’abattit. Les élections furent fixées au 21 février et, pendant six semaines, personne ne respira plus. Ce ne furent qu’alertes sur alertes, incidens et coups de pistolet. M. de Bismarck ouvrit tous les registres de son grand orgue, surtout ceux qui imitaient l’orage : il fit hurler le vent, gronder le tonnerre, mugir la mer et souffler la tempête, dans les journaux à sa dévotion. Un beau matin, le Daily News annonçait que le gouvernement allemand allait sommer la France d’expliquer pourquoi elle construisait des baraquemens, vers sa frontière de l’est. Un autre jour, c’étaient les réservistes allemands qui étaient convoqués pour le 7 février (renseignemens pris, on n’appelait que 72,000 hommes et tout se réduisait à une mobilisation électorale). Mais soudain, la Post jetait la note aigüe, son fameux article : Sous le tranchant du couteau, tandis que la Gazette de Cologne, chargée de répéter le refrain, chantait en basson les péchés de la France et en petite flûte ou en harpe éolienne les vertus politiques de la Prusse. « La France crée une menace de guerre perpétuelle, elle donne l’exemple des armemens à outrance ; la paix n’est garantie que par le génie de M. de Bismarck et la ferme volonté qu’a la nation allemande de donner jusqu’au dernier homme pour repousser une agression. »