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les ont plus que décuplées (l,340,000 en 1890 contre 100,000 en 1871) ? Le hasard des circonscriptions peut bien faire que les opinions ne soient pas très exactement représentées et qu’il n’y ait pas un rapport mathématique entre le nombre des voix et celui des sièges, mais l’écart ne saurait jamais être énorme.

On voit en quel sens vont, suivant toutes les probabilités, et saut l’imprévu auquel il faut toujours laisser sa part, se faire les élections pour le nouveau Reichstag. Est-ce à dire que le conflit actuel, qui a provoqué ces élections, s’aigrira et se perpétuera ? Le plus probable, quel que soit le Reichstag élu, si forte que revienne l’opposition, c’est que l’on s’entendra sur un compromis dont la rédaction est à trouver, mais dont le fond reproduira le compromis de Huene. La paix sera signée, pour cette fois, ou du moins une trêve, jusqu’au prochain conflit, qui est plus ou moins éloigné, mais certain. Ce conflit, la situation le contient en germe, soit parce que le centre, les progressistes, les socialistes, les partis d’opposition, avancent, avancent sans cesse, soit, pour y regarder de plus près, parce que l’empire allemand est un État d’une espèce particulière.

Le conflit est latent sous la constitution ; le droit public et l’histoire le rendent en quelque sorte inévitable ; il découle, comme une conséquence logique, de tout un état d’esprit et de tout un état de choses. — C’est là un fait qui n’enlève rien de sa vérité au mot de M. de Caprivi : « Il faut que l’on sache au dehors que, lorsqu’il s’agit de guerre, toute la nation marche ensemble. » Assurément, lorsqu’il s’agira de guerre, si, par malheur, il s’agit de guerre un jour, l’Allemagne entière marchera du même pas, du pas sonore et cadencé de la Prusse. Mais que l’empire porte en ses flancs un continuel conflit, qu’il n’y puisse pas échapper de par l’histoire, de par son droit public, de par la composition de son parlement, de par sa constitution, de par sa configuration même, ce fait, qui n’est pas contestable, vaut la peine d’être étudié.


III.

La crise, dont nous attendons le dénoûment, n’offre d’intérêt que par rapport à ce trouble caché, si invétéré, si enraciné au plus vif du corps allemand, qu’il est comme une condition de son existence : les peuples et les hommes sont bien forces de vivre avec leurs maux. Ici, le mal est congénital : l’empire l’apportait en naissant. On peut bien, quand on est César, jeter les nations dans le creuset, mais elles ne s’y mêlent et ne s’y fondent qu’avec le temps, un temps qui se compte par générations et par siècles. Autant il serait puéril de nier que l’unité politique de l’Allemagne est accomplie,