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ce cas, ce qui arriverait à un jeune homme dont on entraverait la croissance et le développement par des exercices corporels exagérés ; au lieu de former un athlète, on n’aurait élevé qu’un malheureux atteint de consomption. « 

Le voici, qui fait ses réserves, l’esprit plus doux de la Haute-Allemagne, plus amie de ses aises : l’esprit prussien le pénètre, mais il réagit contre lui : « À l’ancien adage : Sivis pacem para bellum, on pourrait opposer aujourd’hui, à bien meilleur droit, la formule inverse. Si vous voulez pouvoir faire la guerre, ménagez avec soin les forces de la paix ; ou, en d’autres termes, le succès d’une guerre nécessaire ou prévue dépend beaucoup des ressources dont on a su faire provision pendant la paix. » Si vis bellum, para pacem, voilà ce que souffle à l’esprit prussien l’esprit de l’Allemagne du Sud.


IV.

C’est la Prusse qui a fait l’Allemagne, et l’Allemagne est faite à l’image de la Prusse. Or, l’armée prussienne a été le plus efficace instrument de la grandeur prussienne, et elle est devenue l’armée allemande, instrument efficace de la grandeur allemande. Toute l’Allemagne, du Nord et du Sud, en est légitimement fière, l’aime d’un orgueilleux amour, et s’admire en elle. Mais comme il y a, par-deçà et par-delà le Mein, deux esprits, deux conceptions de l’être, ne peut-on pas démêler aussi deux façons de penser, quant à l’organisation de la puissance militaire de l’empire, quant à cette « défense du territoire national » qui est l’objet essentiel de la constitution ?

Pour le Nord, l’armée est « le bras, au service de la tête, l’outil de la politique ; » par elle, la royauté prussienne « prend une figure énergique. » L’armée allemande est « une véritable école publique ; en même temps que la stricte obéissance, l’homme du peuple y apprend les lois, l’ordre, le devoir envers le prince et la patrie, le sentiment de sa dignité. » D’après la conception prussienne, l’armée est bien plutôt royale que nationale. Il faut que l’armée soit tout entière dans la main de l’empereur-roi ; que, « mue par le chef de l’État, elle reçoive de lui l’impulsion et la direction suprême. »

Au sud du Mein, on ne nie pas que le chef de l’État doive être le chef de toute l’armée, mais on la concevrait plutôt nationale qu’impériale ou royale. On y pose franchement « les principes d’une nouvelle politique militaire ; » on demande : 1° le service militaire obligatoire pour tous ; 2° la réduction au minimum des effectifs en temps de paix, jointe à l’organisation de réserves aussi nombreuses