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montrer au dehors que, « lorsqu’il s’agit de guerre, toute la nation marche ensemble. » Où le conflit deviendrait sérieux, c’est si, l’un et l’autre des adversaires étant arrivés au bout de leurs concessions, l’esprit prussien, après avoir froissé l’esprit allemand, le heurtait violemment, si la Prusse ne pouvait plus obtenir de l’Allemagne un soldat, ni l’Allemagne un peu de répit de la Prusse ; en ce cas, le conflit latent éclaterait sous deux formes : dans le parlement et dans l’empire ; dans la constitution et dans la confédération allemande.


V.

Conflit parlementaire grave et, pour tout dire, conflit constitutionnel, plus semblable à celui qui, de 1862 à 1866, brouilla M. de Bismarck et le Landtag prussien qu’à celui de 1887, tranché par une dissolution et un renouvellement de la chambre : particulièrement grave pour le Reichstag, s’il se produit sur une question de crédits militaires. — Aux termes de la constitution, en effet, l’empereur, chef de l’État allemand, est le chef de l’armée allemande. Son pouvoir, qui n’a pas de limites en temps de guerre, n’en a que d’assez vagues en temps de paix. Le roi de Bavière et, à un degré moindre, les rois de Saxe et de Wurtemberg restent nominalement les chefs des armées bavaroise, saxonne et wurtembergeoise. Mais l’empereur dispose et commande.

À côté de lui, un peu au-dessous, le Bundesrath, le Conseil fédéral, et au-dessous, le Reichstag, qui représentent, l’un les princes, l’autre, les peuples confédérés.

Le Reichstag tient-il l’empereur, constitutionnellement, par le vote du budget ? Il ne le tient que si l’empereur le veut bien, puisque les recettes et dépenses publiques sont réparties en deux catégories : les unes, que le Reichstag peut refuser de laisser engager par le gouvernement ; les autres, considérées comme permanentes, qui sont ressort et rouage de l’État, dont l’empereur est le mécanicien. Cette catégorie commode est élastique, et le gouvernement l’élargit par l’usage. De sorte que, un conflit s’élevant, le Reichstag aurait toujours tort. L’empereur continuerait à percevoir légalement les impôts établis par des lois permanentes, qu’il regarde comme obligatoires. Conclusion : « La volonté des représentans de la nation reste subordonnée à celle du souverain ; elle est annihilée[1]. »

Est-ce, au moins, une garantie qu’il faille à l’empereur, pour briser le Reichstag, l’assentiment du conseil fédéral ? Cet assentiment

  1. L. Sentupéry, l’Europe politique en 1892. Fascicule Ier, l’Allemagne, p. 38. L’expression est un peu forcée peut-être, mais la pensée est juste.