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que des traités ou des concordats. « Pas de gouvernement fédéral, qui élabore et exécute la volonté de l’ensemble. » Au temps de la confédération de 1815, l’Autriche, par sa présidence, la Prusse, par sa force militaire, jouaient le rôle de puissances dirigeantes (Vormächte) ; la Bavière venait ensuite, dans une position intermédiaire. Mais ce n’était pas le droit fédéral, c’est le fait qui avait créé cette situation : les gouvernemens de Vienne, de Berlin, de Munich étaient plus puissans à eux trois que la diète de Francfort. » De cette absence d’unité résultaient la faiblesse dans l’armée, la gêne dans les finances, et l’inégalité dans la justice. Les intérêts particularistes menaçaient et entravaient à chaque instant la politique de la confédération.

Il n’en est pas de même dans l’État fédératif. À l’État général, la politique générale ; à chaque État sa propre administration intérieure. La confédération n’existait que pour ses membres ; dans l’État fédératif, ce sont les divers États qui existent surtout pour l’État général. Le principe est que le pouvoir fédéral a qualité pour agir toutes les fois que la vie ou la sécurité de l’ensemble est en péril. « C’est ce que l’empire allemand a le mieux compris, et l’on a vu souvent déjà le Reichstag et le conseil fédéral édicter des lois et des décrets qu’aucun texte précis ne plaçait dans leur compétence, mais que légitimait l’intérêt général[1]. » Et l’empire allemand est le type de l’État fédératif. Ses pouvoirs sont plus « étendus, » plus « énergiques » que ceux des autres États de ce genre. « Mais la différence la plus remarquable est dans la méthode. En vue de prévenir tout conflit, les Américains se sont efforcés de définir les droits du pouvoir central avec autant de précision que possible. La constitution allemande, au contraire, évite de limiter exactement la compétence de l’empire. Elle laisse un certain vague entre les deux domaines du tout et des parties. » L’empire peut légiférer sur toutes matières ; ses lois dérogent toujours à celles des États particuliers. « Aussi l’autorité de l’empire va-t-elle croissant et s’étend elle, à chaque loi nouvelle qu’il édicte. »

On vient de mettre le doigt au point faible, au défaut de la cuirasse de l’État fédératif. La plaie de cet État, c’est le conflit, sans cesse imminent. Tout l’art consiste, pour ceux qui gouvernent cet État, à s’efforcer de maintenir la bonne entente des deux souverainetés. C’est dire que la politique y est plus compliquée que dans un État unitaire. « Il faut souvent transiger, là où l’on aimerait à appliquer les conséquences rigoureuses d’un principe. » Encore « la prévoyance la plus grande ne saurait-elle empêcher tous les

  1. Bluntschli, la Politique, p, 260.