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Cet empire, presque aussi fermé que le furent la Chine et le Japon avant 1860, était autrefois considéré comme la clé de l’Afrique centrale. À ce point de vue, il a perdu toute son importance, mais comme appoint pour une action dominatrice sur la Méditerranée, comme aussi pour fomenter contre la France des révoltes à l’est de l’Algérie et du Sénégal, l’occupation du plus petit port marocain serait pour qui voudrait nous nuire d’un avantage considérable.

Laisserait-on faire nos voisins, parviendraient-ils à donner la main du haut de quelque promontoire africain à leur forteresse de Gibraltar, que nous verrions bientôt la mer bleue, qui baigne nos beaux rivages du sud, se transformer en un lac anglais, de même que sur leurs cartes de l’Amirauté nous avons vu la Manche se métamorphoser en un English Channel.

Le Maroc, par bonheur, n’est pas d’une aussi facile composition que le sont certains États ; sentinelle fièrement campée au nord-ouest du noir continent, elle intime l’ordre de passer au large à quiconque s’attarde sur ses côtes. Dans ces derniers temps, l’Angleterre en a su quelque chose, et puisque des tentatives d’un accord secret ont été faites par elle auprès du sultan africain, et que ces tentatives vont se renouveler, notre intérêt est de veiller. Qui peut affirmer qu’un peuple pour lequel des coups de hardiesse ont toujours été des coups de fortune ne rêve pas de prendre pied sur ce point du noir continent et que, maître déjà de l’une des colonnes d’Hercule, il ne convoite pas la seconde ? Mais par quels moyens ? Sa diplomatie a échoué une première fois, et, avec d’autant plus d’éclat, que le foreign office avait envoyé en qualité d’ambassadeur auprès du sultan marocain l’homme le moins fait, semble-t-il, pour amener à une entente le fier descendant du Prophète.

Cet ambassadeur n’est-il pas, en effet, ce fin diplomate qui a si bien allégé le sultan de Zanzibar du fardeau de ses États pour en donner les parties les plus fertiles, d’abord à son pays, puis à l’Allemagne, à nous le gros lot de ces régions sablonneuses que M. le commandant Monteil vient de parcourir avec autant de courage que de bonheur ? Sa réputation d’homme habile à se taire la part bonne dans un royaume qui croule a dû le précéder à Fez, et il n’est plus surprenant qu’on l’ait tenu en défiance.

L’histoire se répète. Un autre chargé d’affaires anglais, du nom de Douglas, avait eu jadis maille à partir avec l’un des prédécesseurs du souverain actuel au sujet de deux navires capturés dans le détroit de Gibraltar par des corsaires de Salé. M. Douglas, outragé par le sultan, avait répondu par des paroles injurieuses ; il fut jeté dans une prison d’où il ne sortit qu’après avoir juré de ne point quitter le Maroc sans autorisation. Entre temps, sa majesté