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vous plaira. Vous pouvez les jeter à la mer, et en faire ce que vous voudrez ; mais vous pouvez compter que dès que les marchands anglais qui sont dans nos États auront payé leurs dettes, je les en ferai tous sortir. »

La réponse du capitaine Shovel déguise mal le regret qu’ont les Anglais d’avoir abandonné Tanger. Voici cette réponse :

« En qualité de capitaine au service du roy d’Angleterre, je fais mes humbles remercîmens à votre majesté des bons sentimens qu’elle a pour la nation… Des cinquante-trois esclaves qui sont ici, il n’y en a que deux ou trois qui ne soient pas Mores. Il n’y a qu’à voir tous les autres pour juger qu’ils le sont ; si, parce qu’ils sont pauvres, Votre Majesté ne veut pas les reconnaître, que Dieu leur soit en aide ! Votre Majesté nous dit que nous pouvons leur faire sauter le bord. Nous le savons bien, mais nous sommes chrétiens, et ils sont hommes : ce nous en est assez pour ne pas le faire.

« Pour ce qui est de Tanger, notre maître l’a gardé vingt et un ans ; et tout le monde sait que s’il avait voulu, il l’aurait gardé malgré vous jusqu’à la fin du monde ; car il a démoli vos murailles, comblé votre port, abattu vos maisons, aux yeux mêmes de votre alcade et de son armée. Enfin, sans perdre un seul homme, il a abandonné votre pays stérile et désert, afin que votre peuple y mourût de faim… Mais longtemps avant notre départ, nous ne doutions pas que vous fussiez fâchés que nous quittassions le pays. À l’égard de ces gros vaisseaux que votre majesté prétend faire construire pour aller en course sur nos côtes, elle nous excusera si nous nous croyons plus capables d’en juger que personne, car nous savons ce que vous savez faire en fait de marine et de vaisseaux.

« Si votre majesté juge à propos de racheter les esclaves, ses sujets, pour cent écus chacun, ils sont à son service ; et on lui enverra gratuitement les autres. Si vous aimez mieux nous donner autant d’esclaves anglais en échange, vous nous ferez plaisir, mais nous croyons que votre majesté aura peine à prendre ce parti ; car les plus pauvres captifs que notre maître ait jamais rachetés de vos États lui ont toujours coûté deux cents écus, et il y en a qu’il a payés cinq fois autant. C’est que sa charité s’étend généralement sur tous ses sujets et qu’il n’a garde de les oublier et de les regarder avec indifférence parce qu’ils sont pauvres. Nous sommes surpris que votre majesté taxe d’injuste ce procédé, parce que nous avons pris vos vaisseaux en temps même de trêve. Elle peut se souvenir que pendant le temps que votre ambassadeur était en Angleterre, vos corsaires firent environ vingt prises sur les sujets de mon maître. L’année dernière, vous avez mis en mer tout ce que vous aviez de bâtimens, et vous nous en avez pris