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guère le sourd mécontentement des Comtois, que le souvenir amer de cette dure conquête ne fut point étranger à leur résistance opiniâtre pendant la guerre de dix ans.

Louis XI avait fait chancelier de France un Comtois, Guillaume de Rochefort, « homme aujourd’hui bien estimé, » dit Comines, pour ses rares talens ; il plaida auprès de Charles VIII et gagna la cause de son pays. Les franchises de la Comté rétablies en 1484, les États traités avec déférence, un gouvernement équitable, la ville de Dole restituée à son rang de capitale, ces bienfaits avançaient l’œuvre de fusion, rendaient populaire le roi de France. Mais la Comté faisait partie de la dot de Marguerite de Bourgogne, et Charles VIII l’ayant répudiée pour épouser Anne de Bretagne, son père Maximilien, outré d’une telle injure, pénétra, à la tête d’une armée, dans la Comté, et Besançon, Salins, Arbois lui ouvrirent leurs portes. Cependant tout le Midi résista, une bonne partie de la noblesse comtoise se rangeait sous les étendards de la France, les Allemands firent petitement et profitèrent peu, irritèrent les populations par leurs brigandages, et l’on ne sait trop ce qui fût advenu, si Charles VIII, pressé d’entreprendre ses folles guerres de magnificence, n’eût, par le traité de Senlis (1493), restitué la Comté à Maximilien. S’il contribuait ainsi à placer dans la même main l’Autriche, l’Espagne, le Nouveau-Monde, la succession de Charles le Téméraire, au moins conservait il le duché de Bourgogne et le duché de Bretagne qui, sans ce mariage, aurait passé encore à la maison d’Autriche, menace perpétuelle, épée toujours levée sur le cœur de la France.

Ici commence pour notre province la période la plus heureuse de son histoire : pendant près d’un siècle et demi, elle jouit d’une prospérité relative, sous la domination des princes autrichiens et espagnols, Philippe le Beau, Marguerite, Charles-Quint, Philippe II, Albert et Isabelle. On a déjà énuméré quelques-unes des causes de cette douceur de vivre, de cette forte expansion intellectuelle : le parlement, les États, l’Université ; n’oublions pas la plus importante, la ligue héréditaire avec la Suisse, la neutralisation de la Comté, du duché de Bourgogne et de la Champagne, négociée par la princesse Marguerite, acceptée et renouvelée sous la garantie des Suisses qui, en échange, surent extorquer aux Comtois un subside annuel de 400,000 francs. C’était la paix, avec ses inestimables bienfaits, car la neutralité ne fut pas seulement une fiction, une expression diplomatique, les événemens en firent une réalité assez solide. À dire vrai, les passages incessans de troupes royales sous Philippe II semblèrent un fléau comparable à la guerre : en 1519, les États remontraient que le peuple n’a plus que le souffle et la voix pour se plaindre. Puis la neutralité subit une éclipse en 1595, lorsque