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Granvelle, les de Rye, Claude de Vienne, baron de Clairvaux, Jean de Savigny, seigneur de Saint-Rémy, etc., disposés à jouer le rôle de chefs des gueux, une partie des gouverneurs de Besançon, des érudits tels que Gilbert Cousin, l’antiquaire Boissard. Un vicaire de saint Pierre embrassa la réforme, une abbesse défroquée osait la prêcher en ces termes dans le couvent de Sainte-Claire : « Hé ! pauvres créatures, si vous saviez qu’il fait bon estre mariée et comment Dieu l’a agréable ! J’ai longtemps esté en ces ténèbres et hypocrisies où vous estes ; mais le seul Dieu m’a fait connaître l’abusion de ma chétive vie, et suis parvenue à la vraye lumière de vérité. Considérant que je vivais en regret, car en ces religions n’y a que cagoterie, corruption mentale et oysiveté, et pour ce, sans différer, je pris le trésor de l’abbaye jusqu’à cinq cents ducats, et me suis retirée de ce malheur, et, grâces au seul Dieu, j’ay déjà cinq beaux enfans et vis salutairement. »

La conjuration était fortement ourdie ; et le passage du duc d’Albe à travers la Comté, en 1567, à la tête d’une puissante armée, n’avait nullement ralenti les courages : Guillaume d’Orange, héritier des grands fiels de la maison de Chalon, le duc de Saxe, le comte Palatin, le duc Casimir, les Bernois y entraient plus ou moins ouvertement. À plusieurs reprises, les protestans du canton de Berne tentèrent de surprendre Saint-Claude, Dole, Gray ; en même temps que les provinces de Flandre, la ligue des gueux cherchait à envelopper la Franche-Comté, et elle avait pour point de rallie-mens la confrérie de Sainte-Barbe, pour insignes : une besace avec deux mains jointes en signe d’alliance, une médaille portant ces mots : fidèles au roi jusqu’à la besace. Granvelle ne s’y trompait pas un instant, et ne cessait d’affirmer à son souverain que l’entreprise se nouait contre la royauté même, qu’il se tramait quelque chose de dure digestion, que les princes allemands portaient la livrée de Flandre. En 1569, une armée luthérienne, forte de 16,000 hommes, sous le commandement du duc de Deux-Ponts, maltraite la Haute-Alsace, ravage cette partie de la Comté qui forme aujourd’hui le département de la Haute-Saône, brûle maint village, dévalise les églises de Bithaine, Clairefontaine, Luxeuil, Faucogney, Faverney, fait prêcher aux halles de Jussey, convoquant avec des trompettes, au lieu de cloches, le menu peuple de notre seigneur, « qui se laissait tondre à la volonté de tels bouchers. » Les représailles prennent un caractère atroce : un village, ayant fait un feu de joie à la nouvelle de la Saint-Barthélémy, devint la proie des flammes.

Les commissaires de l’empereur Maximilien avaient en 1573 banni les calvinistes notables de Besançon ; ceux-ci se réfugièrent à