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ce fut sans doute un des beaux jours de sa vie. Cette famille de Montbéliard est d’ailleurs fort nombreuse, une sorte de haras princier où fils et filles reçoivent une excellente éducation qui plus tard facilitera de brillans mariages. Notre Dangeau femelle n’oublie point le chapitre important des modes, les cadogans, les dauphins en or, le quesaco, le pouf au sentiment, coiffure compliquée où l’on introduisait l’objet de sa prédilection : portrait d’une fille, d’un ami, d’un serin ou d’un chien favori, car on se piquait de suivre les modes parisiennes à Montbéliard. Quant au loto, il inspire des poèmes aux beaux esprits du cru, et l’on continue d’en raffoler, même après ces vers de Ségur lus par un adversaire de ce jeu :


Le loto, quoi que l’on en dise,
Sera fort longtemps en crédit.
C’est l’excuse de la bêtise
Et le repos des gens d’esprit.
Ce jeu, vraiment philosophique,
Met tout le monde de niveau.
L’amour-propre, si despotique,
Dépose son sceptre au loto :
Esprit, bon goût, grâce, saillie,
Seront nuls tant qu’on y jouera.
Luxembourg, quelle modestie !
Quoi ! vous jouez à ce jeu-là !


Les visiteurs de marque affluent à Montbéliard : le prince Henri de Prusse, qui, disait-il, avait passé la moitié de sa vie à désirer vivre en France, et allait passer l’autre moitié à la regretter, la duchesse de Bourbon, La Harpe, Florian, Lavater, lady Craven, qui contait de si désopilantes histoires sur Clairon à Bayreuth, l’abbé Raynal dont le verbiage philosophique ne réussit guère et qui trouvait à son tour qu’il n’y avait rien à faire avec ces diables de huguenots. Joseph II, lorsqu’il passa à Montbéliard, ayant refusé de loger au palais, le duc ordonna à tous les hôteliers d’ôter leurs enseignes, en fit mettre une énorme à sa porte avec les armes d’Autriche et ces mots : Hôtel de l’empereur, reçut celui-ci en costume d’hôtelier, et joua son rôle avec un naturel pariait ; cette plaisanterie un peu… allemande eut le plus grand retentissement. Mme d’Oberkirch ne peut se tenir de lui reprocher ses tendances demi-philosophiques, des manières trop simples et quelque coquetterie dans son affabilité. Songez donc ! un empereur qui arrête le duc prêt à fléchir le genou devant lui en sa qualité de prince du saint-empire, et lui dit : « Pas de cérémonie ! C’est le comte de Falkenstein qui vous rend visite ! » Mais quelle joie