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les mains du gouverneur et de l’intendant, le droit de nommer les archevêques cédé au roi par les chanoines eux-mêmes, ces changemens s’accomplirent insensiblement, modifièrent la physionomie de la province.

Sous la domination autrichienne et espagnole, la Franche-Comté avait vu se lever une opulente moisson de diplomates, d’hommes d’État ; après Louis XIV et jusqu’en 1789, il y a disette presque absolue ; personne, à l’exception de deux hommes du second ordre, le prince de Montbarrey, et le comte de Saint-Germain, un original bien amusant, qui, par certains côtés, semble un précurseur intellectuel de Fourier, de P.-J. Proudhon : jésuite, lieutenant de dragons, expatrié de France, soldat de fortune sous les drapeaux du prince Eugène, rappelé par Maurice de Saxe, officier général distingué, austère et dévot, rude aux courtisans, type d’éternel mécontent, superbe dans sa fatuité omnisciente. Il se croit méconnu, quitte une seconde fois sa patrie, tente de changer l’organisation militaire du Danemark, tombe du pouvoir, et, réduit à la misère, se retire dans une petite métairie où il vit du travail de ses mains. C’est là qu’un courrier de Louis XVI lui apporte sa nomination de ministre de la guerre. Possédé d’une rage de réformes, mêlant l’utile à l’absurde, la vérité et l’utopie, il trouva le moyen de mécontenter tout le monde, les bureaux, les victimes de ses innovations, les philosophes, et disparut accablé par la clameur publique. Il avait eu l’idée malencontreuse de soumettre les soldats au régime des coups de bâton, et en parla à son compatriote Bourdon de Sigris qui le blâma fortement. « Eh bien, dit Saint-Germain, des coups de plat de sabre ? — Mais, monseigneur, ce sont toujours des coups, répliqua Sigris. » À défaut des politiques, les hommes distingués ne manqueront pas à notre province. Voici Jean Boisot, l’infatigable assembleur de papiers de Granvelle, — Claude Perrin d’Arbois, collaborateur de Lebrun à Versailles ; — Jacques Beaulieu, le plus habile lithotomiste de son temps, qui sauva des milliers de malades avec un procédé nouveau connu sous le nom de taille du frère Jacques, un chirurgien doublé d’un saint, qui donnait aux pauvres l’argent que les riches le forçaient de recevoir ; — l’abbé d’Olivet, traducteur, grammairien, philologue, membre de l’Académie française, — Dunod de Charnage, historien du comté de Bourgogne, grand admirateur de la féodalité et des seigneurs qui, dit-il, « ignoraient presque tous les lettres et ne savaient pas seulement signer leurs noms, mais avaient le cœur bien fait et beaucoup de sens ; » — Claude-François de Courbouzon, président à mortier, l’un des fondateurs de l’Académie de Besançon ; — Fenouillot de Falbaire que l’Honnête criminel rendit un moment célèbre ; — dom Grappin, Millot, Perreciot, Droz, le mathématicien Jacques, Suard…

Et quasi cursores vital lampada tradunt. Sur les pas des morts