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complicité tacite de l’autorité militaire. Et voici le coup de grâce pour ces parlemens qui ne savent être ni conservateurs ni libéraux, le décret du 3 novembre qui les enterre tout vivans, en prolongeant indéfiniment la durée de leurs vacances. Ils disparurent au milieu de l’indifférence et de l’hostilité générales.

Les cahiers comtois des trois ordres, rédigés au milieu du courant d’enthousiasme qui emportait les cœurs, firent maint retour aux anciennes traditions ; si le tiers-état de Besançon réclame l’abolition pure et simple des mainmortes et corvées, le rachat de tous droits seigneuriaux, les états-généraux tous les trois ans, la faculté d’étendre l’impôt à cinq ans, il se prononce en même temps pour le maintien exclusif de la religion catholique, et la non-exécution en Comté des édits rendus en faveur des protestans. D’ailleurs, notre province embrassa avec ardeur la Révolution ; les mesures arbitraires de Bernard de Saintes, de Bassal, ralentirent ce zèle, mais la politique conciliante de Robespierre jeune rendit quelque espérance aux opprimés. Un magistrat municipal de Mouthier renverra au camp sans le recevoir son fils qui a quitté l’armée du Rhin, et, en même temps, il se fera jeter en prison pour sa foi religieuse. Ce trait donne la mesure exacte de l’état d’esprit du Comtois devant la révolution ; patriote convaincu, croyant décidé, amoureux de la liberté qu’il confessera hardiment. Les administrateurs de Lons-le-Saulnier prirent parti pour les Girondins vaincus par les Montagnards ; les fautes de ceux-ci empêchaient de voir en eux les défenseurs d’un dogme sacré, de l’unité de la patrie, et dans ce terrible chaos, dans cette noire nuit des consciences, on leur reprochait, non sans raison sans doute, d’avoir créé une partie des difficultés dont ils triomphèrent si âprement.

L’histoire de la persécution révolutionnaire dans le Doubs a été racontée longuement ; mesures de confiscation, atteintes à la liberté des âmes, prêtres forcés d’opter entre la guillotine et l’émigration, petite Vendée des montagnes, intolérance du culte philosophique, épreuves de l’île de Ré, délibérations des autorités révolutionnaires, dénonciations, plaintes, interrogatoires des victimes, actes généreux, héroïques, l’auteur[1] n’a rien omis, il ne redoute point la monotonie par la répétition de scènes où les noms seuls sont changés ; le réquisitoire semble complet, il ne remplit pas moins de dix volumes très compacts, et la passion

  1. Sauzay, Histoire de la persécution révolutionnaire dans le Doubs, 10 volumes. — Vuillermet, Trois mois de l’année 1795 à Lons-le-Saulnier. — Charles Nodier, Souvenirs et portraits de la Révolution. — Rougebief, Histoire de Franche-Comté. — Sommier, Histoire de la révolution dans le Jura.