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leurs gestes, s’échange comme une longue reconnaissance des joies et des douleurs éprouvées en commun depuis un demi-siècle. Nulle sentimentalité, nulle insistance, nulle affectation. C’est indiqué avec une simplicité parfaite de cœur et par des moyens tout pittoresques, par l’apaisement de la lumière faiblissante qui rassérène la chambrette, par la vérité naturelle et douce des gestes, des physionomies, des expressions, sous les jeux délicats de cette lumière. La souplesse et la liberté de l’éclairage égalent ici ce que les Suédois, MM. Edellelt et Zorn, par exemple, font de mieux en ce genre, mais le dessous, chez M. Bramley, est plus viril et plus soutenu, et la façon dont il modèle, d’un jet, un visage et une main, prouve chez lui une science égale à son émotion. On n’a qu’à se rappeler son remarquable envoi de l’année dernière aux Champs-Elysées, l’enterrement d’une jeune fille, d’une exécution si précise, mais encore timide, pour constater ce qu’il a gagné, depuis ce temps, en force et en liberté.

La seule pièce qu’on puisse comparer à l’œuvre de M. Bramley pour la justesse et la délicatesse de l’éclairage est précisément un tableau de M. Edelfelt, les Repasseuses, dans lequel on assiste au colloque peu émouvant d’une jeune blanchisseuse, coiffée d’un fichu, repassant un linge sur une table auprès d’une fenêtre, et d’une vieille blanchisseuse, en corsage à carreaux, le poing sur la hanche, qui la regarde. La jeune est fraîche et avenante, la vieille est laide, vulgaire, presque hideuse ; toutes deux sont d’une réalité criante, toutes deux sourient d’un sourire sans esprit, mais vrai aussi, et cet ensemble de vérités courantes, sincèrement exposé dans une lumière fraîche, fine et claire, se poétise assez par la vivacité de cette lumière pour charmer quelques instans les yeux. On sent pourtant toute la différence qu’il y a, même à mérite égal d’ouvrier, entre cette façon terre à terre de représenter la réalité, et la conception, aussi simple, mais plus haute et plus poétique de M. Bramley. Il est juste de dire que lorsque M. Edelfelt rencontre des types d’un caractère plus intéressant, il s’efforce heureusement de dégager ce caractère, ainsi qu’on peut le voir dans ses Lamentations et ses Chants magiques de vieilles sorcières de Finlande. L’extrême finesse de vision qui est son mérite principal, comme celui de la plupart de ses compatriotes, se retrouve dans ses études de paysages, soit à l’huile, soit à l’aquarelle, les Journées de décembre en Finlande et le Golfe de Finlande. On sait combien les peintres du Nord excellent dans ces études blanches de gelées et dégels, neiges et verglas, et c’est un plaisir pour nous de voir, cette année, le virtuose le plus habile en ce genre d’exercice, M. Fritz Thaulow, appliquer son extraordinaire sûreté d’observation à des effets d’hiver dans notre pays. On pouvait