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travaille n’est pas précisément ce qui ravit le gros des passans : ce n’est ni l’ampleur de la robe légère tombant en larges plis derrière l’enfant agenouillée, ni la souplesse du voile flottant autour de sa tête, ni la délicatesse des colonnettes sculptées et découpées supportant la balustrade sur laquelle elle s’appuie ; toutes ses habiletés de pratique, à vrai dire, qui attirent d’abord les yeux et distraient l’attention, nous semblent de peu de prix et plus faites pour compromettre cette figure charmante que pour la faire valoir. Ce qui est vraiment excellent dans l’œuvre de M. de Saint-Marceaux, c’est l’attitude naturelle de la communiante, c’est l’expression fervente et extatique de son doux visage, au moment où elle va recevoir l’hostie, mais cette attitude et cette expression auraient pris plus de valeur encore dans un milieu plus calme et moins orné. Une autre figure de M. de Saint-Marceaux, un projet de Jeanne d’Arc, cuirassée, debout, l’oriflamme à la main, adossée à un pilier de la cathédrale de Reims, nous montre l’artiste cherchant à exprimer de nouveau l’extase et la foi dans une figure féminine. Il y a là une tentative de résurrection de l’héroïne, dans un esprit chrétien et archaïque, qui n’est pas ordinaire et qui peut produire, sur place, un bon effet.

Le Coysevox de M. Bayard de La Vingtrie est une bonne statue exécutée suivant les méthodes traditionnelles qui fera honneur à son auteur, mais que nous aurions rencontrée sans étonnement aux Champs-Elysées. Le Bonheur (une femme embrassant son enfant) de M. Camille Lefèvre, groupe d’un sentiment tendre et d’une exécution vive et libre, n’a rien non plus de particulièrement inattendu. En réalité, les nouveautés et même les excentricités sont aussi rares ici que dans la section de peinture ; seulement, la liberté illimitée dont y jouissent les artistes leur permet d’exposer, en grande quantité, des petits bronzes et des maquettes qui amusent les yeux et font l’affaire des amateurs. On ne saurait nier le mérite des petits bronzes de MM. Constantin Meunier (de Bruxelles) et de Mme Walgren (de Stockholm), non plus que de ceux mêmes, si l’on veut, de M. Bartolomé, mais il faut bien reconnaître que tout cela est peu de chose à côté des grandes entreprises sculpturales auxquelles notre école française ne peut renoncer, ni par tempérament, ni par tradition, et qui jusqu’à présent, sauf de rares exceptions, se sont trouvées dans leur véritable milieu au palais des Champs-Elysées.


GEORGE LAFENESTRE.