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avait tant, que Paschka se sentit presque étouffé par une grande pelisse de brebis qui sentait le poisson salé.

Enfin on ouvrit les portes de la salle d’attente et Paschka entra avec sa mère. Tous les bancs étaient occupés par des malades ; il y en avait de très drôles. Paschka, les yeux écarquillés, les regardait et s’amusait beaucoup ; mais il n’osa pas ouvrir la bouche. Une fois seulement, lorsque la porte laissa passer un petit paysan tout essoufflé qui sautillait sur son unique jambe, Paschka sentit le désir de sauter avec lui. Il donna un coup de coude à sa mère et dit :

— Mâma, regarde ; un vrai moineau.

— Tais-toi, enfant, tais-toi, répondit sa mère.

Quelqu’un ouvrit un petit guichet, et l’infirmier y montra son visage endormi.

— Qu’on vienne s’inscrire ! cria-t-il.

Tout le monde se leva, se pressa autour du guichet. Le scribe demandait à chacun son nom, son âge, son domicile et la durée de sa maladie. Paschka apprit, par les réponses de sa mère, qu’il ne s’appelait pas Paschka, mais Paul Galaktionof, qu’il avait sept ans et qu’il était malade depuis Pâques.

Tout le monde reprit sa place, mais bientôt on se leva en masse, car le docteur venait d’arriver. Il portait un tablier blanc et s’adressa tout de suite au petit paysan qui n’avait qu’une jambe.

— Ah ! te voilà, imbécile ! Ne t’avais-je pas dit de venir lundi, et c’est aujourd’hui vendredi ? Ce ne sera pas ma faute si ta jambe est perdue.

Le petit paysan écoutait très penaud ; son visage se contracta, et il dit d’un ton plaintif :

— Ayez pitié, Ivan Mikolaitch !

— C’est pourtant vrai que tu n’es qu’un sot, continua le docteur. Pourquoi n’obéis-tu pas ? Ne t’avais-je pas dit de venir lundi ? Mais non… tu es un imbécile, voilà tout !

Il entra dans son cabinet et se mit à appeler les malades à tour de rôle. Bientôt on entendit de là-bas des cris aigus, des pleurs d’enfans et la voix irritée du docteur.

— Pourquoi hurles-tu ? Je ne te coupe pas par morceaux. Reste tranquille, veux-tu ?

Enfin vint le tour de Paschka.

— Paul Galaktionof ! cria le docteur.

La mère tressauta ; elle était si peu habituée à ce nom. Elle prit la main de Paschka et se glissa avec lui dans le cabinet du docteur, qui fouillait parmi ses papiers.

— Qu’est-ce qui lui fait mal ? demanda-t-il sans tourner la tête.

— C’est au coude que le gars a une maladie, répondit la mère,