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frère Paul, et à nous deux nous allons nous divertir comme des princes, mon ami. La vie chez moi est bonne, tu verras ! Je te montrerai un renard vivant ; nous irons à la foire des pains d’épice, veux-tu ? Ta mère reviendra te chercher demain. Paschka regarda sa mère :

— Reste, mon gars, reste ! dit-elle.

— Je crois bien qu’il restera ! s’écria gaîment le docteur, il n’y a pas de discussion possible, puisqu’il s’agit de voir un renard vivant ! Maria Denissovna, conduisez le là-haut.

Paschka se dit que le docteur tenait évidemment à ne pas aller seul à la foire, et, comme lui, Paschka, n’y avait jamais été encore, il se sentait très content d’être emmené. Seulement il se demandait comment il ferait sans sa mère. Après réflexion, il jugea qu’elle pourrait aussi demeurer à l’hôpital. Mais, avant qu’il eût trouvé le temps d’en parler au médecin, la garde-malade lui avait déjà fait monter l’escalier ; elle l’introduisit dans une grande salle. Paschka trottait à ses côtés en ouvrant démesurément la bouche. Le plafond si haut, les murs si propres, les suspensions, les rideaux l’étonnaient ; il lui sembla que la maison du docteur n’était vraiment pas mal. On l’assit sur un lit et il palpa avec délices une belle couverture grise, qui devait tenir bien chaud.

Il n’y avait dans cette pièce que trois lits, — l’un était inoccupé, l’autre appartenait à Paschka, et sur le troisième se tenait assis un vieillard aux yeux méchans, qui ne faisait que tousser et cracher dans un bol. Par la porte entr’ouverte, Paschka pouvait voir une partie de la salle voisine ; il remarqua un lit dans lequel dormait un homme très pâle, ayant sur la tête un sac en caoutchouc ; dans un autre lit se trouvait un paysan, dont la tête aussi était bandée, ce qui lui donnait l’air d’une femme.

La garde-malade apporta un paquet de vêtemens et dit à Paschka :

— C’est pour toi, allons, habille-toi.

Paschka revêtit une chemise propre, des pantalons, une paire de pantoufles et une petite robe de chambre grise, qui lui parut être le comble de l’élégance. Il se regardait avec extase et pensa tout de suite combien, sous ce costume, il aimerait à parader dans le village. Son imagination lui représenta que sa mère l’envoyait chercher de l’herbe pour le cochon de lait et qu’il s’en allait vers la prairie, le long de la rue, pendant que garçons et filles le suivaient, admirant avec envie sa jolie petite robe de chambre.

Bientôt une servante entra dans la salle et apporta deux écuelles en terre, deux cuillères et deux morceaux de pain. C’était pour Paschka et pour le vieillard. Lorsque Paschka s’aperçut que son bol contenait une belle soupe aux choux, avec un grand morceau