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Il est, en matière de travail personnel, un exemple que l’on peut proposer pour modèle à notre corps législatif, c’est celui de notre premier corps judiciaire : la loi oblige les conseillers à la cour de cassation à recopier eux-mêmes leurs rapports, dans les affaires dont ils sont chargés, depuis la première ligne jusqu’à la dernière. Si l’on exige ainsi des magistrats de l’ordre le plus élevé le strict accomplissement d’une besogne matérielle aussi fastidieuse, — parmi les documens insérés dans ces rapports figurent in-extenso une partie des pièces de procédure, notamment les jugemens et arrêts contre lesquels est formé le pourvoi, — c’est afin de s’assurer que, parvenus au faîte des honneurs de leur carrière, touchant aussi à cette heure où la vieillesse les sollicite au repos avant que la limite d’âge ne les ait atteints, ils ne puissent se reposer sur d’autres du soin de trancher les questions qui leur sont soumises.

C’est par de tels moyens que l’on a conservé, dans l’opinion publique, à la plus haute compagnie des « gens de robe longue » le crédit et l’autorité dont le récent arrêt de l’affaire de Panama vient de donner une nouvelle preuve. Malgré M. l’avocat-général Baudouin, qui concluait à la confirmation pure et simple de l’arrêt condamnant MM. Charles de Lesseps, Fontane et Eiffel, la cour suprême a déclaré que la prescription était acquise aux faits incriminés. Par conséquent, les prévenus ne pouvaient plus être recherchés à raison de ces faits, et l’arrêt du 9 février, qui constituait une violation de la loi, a été annulé. La décision de la cour de cassation, fondée sur un point de droit, a été accueillie avec respect et sans étonnement par tous ceux qui savent combien les textes sont susceptibles d’interprétations diverses et contradictoires.

Mais elle a été surtout agréable à ceux qui avaient trouvé excessif et dépourvu de base juridique le délit d’escroquerie et d’abus de confiance dont plusieurs anciens administrateurs de Panama avaient été déclarés coupables. Que l’affaire de Panama ait été conçue, ou plutôt adoptée fort à la légère, par un homme que l’opinion s’est appliquée à griser d’encens de 1872 à 1880, après l’avoir abreuvé de dégoûts de 1856 à 1868, que cet homme, audacieux jusqu’à la présomption et ennemi des calculs trop précis, se soit figuré qu’ayant percé un isthme il en percerait bien deux ; qu’il ait rencontré des difficultés auxquelles il ne s’attendait pas, difficultés qui, d’ailleurs, n’étaient peut-être pas insurmontables, mais semblaient devoir rendre tout à fait insuffisante la rémunération des capitaux employés ; que la recherche de ces capitaux soit devenue de plus en plus difficile et onéreuse, à mesure que l’opération devenait pécuniairement moins bonne ; qu’au même temps l’accomplissement des travaux se fit avec plus de lenteur et plus de cherté, parce que les