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Même dans un son isolé, c’est le timbre qui est distinctif, parce qu’il enveloppe, comme on sait, une combinaison d’harmoniques, dont les unes sont des consonances, les autres des dissonances. De même, ce qui est caractéristique dans une individualité, c’est son timbre moral. Les observations de M. Perez et celles mêmes de Wundt sur les vifs et les lents nous paraissent donc stériles, tant qu’on ne sait ni sur quelles qualités portent la vivacité ou la lenteur, l’énergie ou la faiblesse, ni quelles en sont les causes, ni quels effets s’en déduisent nécessairement. Voyez les portraits, d’ailleurs si intéressans, que M. Perez a introduits dans son livre, tels que ceux de Marmontel ou de Jules Vallès ; vous vous demanderez si les divers traits rassemblés là sont de vraies conséquences du caractère typique, ou de simples rencontres accidentelles. Par exemple, M. Perez décrit les ardens, — les Bonaparte entre autres, — comme ayant une forte sensibilité et une intelligence puissante, mais toujours avec une certaine tendance à « confiner leurs intérêts scientifiques dans la sphère des inclinations personnelles. » Ils sont nés pour l’action et la domination. Ils ont leur moi pour centre de toutes leurs actions. Ils sont impérieux jusque dans leurs tendresses : « voyez les billets de Bonaparte à Joséphine. » Bienfaisance, honnêteté, modestie ne sont chez eux que le voile d’une « personnalité irritable et vindicative ; » le foyer est incandescent et, « sous l’apparence tranquille et sérieuse, couvent de véritables orages. » — Mais comment, de l’ardeur, déduire tous ces traits, qui sont ceux de l’égoïste ? Ne peut-on être ardent et énergique dans les passions généreuses, tout autant que dans celles qui ont pour centre le moi haïssable ? De même on peut être un héros ou un gredin avec de la vivacité ou de la lenteur. Vos mouvemens ou vos actes sont-ils rapides, vous voilà classé parmi les vifs, qui, selon M. Perez, sont « légers. » Mais votre rapidité de mouvemens peut tenir à deux causes opposées : ou vous n’avez pas réfléchi, et alors vous méritez l’accusation de légèreté ; ou votre pouvoir de réflexion est rapide, vous avez du coup d’œil intellectuel, et vous n’êtes pas pour cela un homme léger. Le même résultat extérieur peut être produit par une qualité ou par un défaut de l’intelligence. On connaît ce compte-rendu laconique d’une séance du parlement anglais, que fit un homme d’esprit interrogé par la reine Elisabeth : « Que s’est-il passé ? — Deux heures. » En y ajoutant même le nombre et la rapidité des mots prononcés par les orateurs pendant ces deux heures, vous seriez encore assez peu renseigné sur le fond des choses.

En fait de mouvemens, ce sont ceux mêmes de l’organisme qu’il faut étudier, et non pas seulement dans leur vitesse et leur