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Et de même, ajoute le poète, « on a les pleurs dans l’âme avant de les sentir aux yeux. » C’est souvent au fond de notre organisme qu’il faut chercher la vraie cause de notre tristesse ou de notre gaîté ; c’est dans l’intérieur de notre corps qu’il fait beau temps ou mauvais temps, c’est là qu’il y a des heures de sérénité et des heures d’orage. Nos diverses humeurs, dans l’obscurité des choses, nous les font voir de couleurs différentes, comme des feux changeans de Bengale dans la nuit ; mais, sous nos humeurs diverses, il y a une sorte d’humeur constante qui provient de notre tempérament même, des gains ou des pertes réalisés par notre vitalité. Il existe ainsi un bonheur physique et un malheur physique, qui ont leur origine dans le sens du corps. Nous avons vu, par exemple, que la belle humeur du sanguin a sa source dans son organisme, et elle trouve jusqu’à un certain point sa justification en elle-même. Comme dit Schopenhauer, celui qui est gai a toujours un motif de l’être par cela même qu’il l’est. Qu’un homme soit jeune, beau, riche, considéré, il faudra encore savoir s’il est gai ; en revanche, est-il gai, alors peu importe qu’il soit jeune ou vieux, bien fait ou bossu, pauvre ou riche. Ce que les Anglais ont exprimé par un truisme : « Qui rit beaucoup est heureux, et qui pleure beaucoup est malheureux. » L’homme de belle humeur ne se chagrine pas de l’insuccès et se réjouit de la réussite ; l’homme d’humeur morose, s’il réussit neuf fois sur dix, ne se réjouira pas des neuf succès et se chagrinera, dit encore Schopenhauer, pour la seule et unique fois où il n’aura pas réussi. Il est donc vrai de dire qu’il y a des élémens de bonheur qui dépendent de notre tempérament. Ce n’est pas une raison pour méconnaître l’incontestable influence du milieu et des circonstances, surtout celle de la raison et de la volonté, c’est-à-dire de ce qui constitue le vrai caractère.

Certains physiologistes sont allés jusqu’à soutenir que le tempérament détermine l’emploi qu’on fera de ses facultés cérébrales. C’est trop dire, et, ici encore, il faut faire la part des circonstances et du milieu ; mais il est certain que les goûts tiennent en grande partie à l’action continue du tempérament général et des organes particuliers qui ont un développement prédominant. Tout organe, en effet, dès qu’il est stimulé, engendre le besoin de la fonction : les yeux engendrent le besoin de regarder, les oreilles le besoin d’écouter ; et si l’organe est bien constitué, il fournit en même temps l’aptitude à la fonction. Telle partie du cerveau naturellement robuste entraînera donc tels et tels goûts naturels, tels et tels instincts, telles et telles capacités. De là les voluptueux de nature, les remuans et les indolens, les irritables et les patiens, les batailleurs et les pacifiques, les imaginatifs, les contemplatifs, les