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rester au milieu des siens, auprès de celui qu’elle aime, sans que personne songe à la blâmer d’avoir séparé sa vie d’une vie indigne, perdue et condamnée ? Qu’est-ce aussi qui empêche Cortis de chercher à profiter du sentiment qu’il inspire et qu’il partage, des heures de faiblesse qu’Hélène aurait peut-être, — car quelle femme aimante, vraiment femme, n’en a jamais ? Ce n’est aucune considération d’ordre extérieur, aucune raison pratique, ce n’est que la qualité de leur âme, ce n’est que la vertu, — il faut bien employer ce mot quand bien même il fait parfois sourire, — la vertu appuyée, il est vrai, par la foi religieuse. Hélène et Daniele ne veulent entre eux rien qui les abaisse, et ne demandent à l’amour que sa plus noble essence, la part mystérieuse de sacrifice et de dévoûment qu’il renferme toujours : « Vois-tu, dit Daniele à son amie au moment où ils mesurent ensemble tout ce qui les unit et tout ce qui les sépare, j’ai besoin d’aimer et de souffrir pour ce que j’aime. Alors je suis heureux, alors je sens en moi comme une flamme de vie, comme une bénédiction de Dieu, je sens toute ma dignité d’homme, toute ma force… Et si je t’aime, Hélène, comment veux-tu que mon bonheur ne soit pas de continuer à t’aimer, en sacrifiant, à présent et toujours, tout ce qu’il faut sacrifier, mais en sachant bien que tu m’aimes aussi et que ton amour est aussi fort et aussi noble que le mien ? .. » C’est ce haut respect d’eux-mêmes qui les sauve, tant qu’ils sont ensemble, des périls de l’intimité, qui leur impose leur conduite quand sonne l’heure de la séparation et que librement ils s’en vont loin l’un de l’autre, qui les console aussi en les exaltant sur une pensée orgueilleuse et stoïque.

Ce drame d’amour devient par momens d’une intensité saisissante. Nous l’avons dégagé de l’ensemble du livre dont il fait l’unité, mais qui, dans la pensée de l’auteur, est d’une portée plus générale. Daniele Cortis, en effet, est député. Il l’est par devoir plus encore que par goût, par ferveur de convictions, par zèle patriotique ; et dans l’accomplissement dévoué de ses fonctions, il trouve un contrepoids à la passion qui le ronge, une autre raison d’exister. M. Fogazzaro a donné un développement assez considérable à l’exposé des idées politiques de son héros, qui, on peut le croire, sont les siennes. Ce sont celles de la « démocratie chrétienne, » et l’objectif principal de l’honnête homme qu’un petit district de montagnes a envoyé, à quatre voix de majorité, siéger à la chambre, paraît être de chercher un compromis acceptable entre les exigences de l’Église et celles de l’État : « Mon idéal politique ne sera jamais, dit-il dans un de ses discours qu’on nous rapporte tout au long, celui du parti qui voudrait subordonner les