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d’obtenir une concession, à les charger de préparer pour la culture, sous la direction d’agens techniques, les terrains qui seront alotis, de bâtir les cases, de tracer les chemins, etc., en un mot, de créer les villages qu’ils habiteront bientôt.

C’est une transition très heureusement imaginée entre le travail forcé et l’initiative individuelle. Rien n’est plus propre à encourager la discipline, garantie du bon ordre, et à faire naître l’esprit de solidarité, garantie du succès. Des notes mensuelles, données par les surveillans au point de vue de la conduite et par les agens de culture au point de vue de la capacité professionnelle, déterminent la longueur du stage imposé à chaque candidat.

Le groupe de concessionnaires actuellement le plus prospère a été créé de cette façon, alors que l’administration, dans un moment d’énergie, avait mis sur sa porte : « Le public n’entre pas ici. » Il y a, m’a-t-on dit, et je m’en réjouis, de bonnes raisons de croire que le sous-secrétaire d’État aux colonies dont tout le monde apprécie l’intelligence, la justesse de vue et la fermeté, ordonnera bientôt de replacer l’utile écriteau.


III

Mais je ne veux pas m’attarder aux commentaires, et je tourne un feuillet de mon album de touriste : vous avez vu le forçat chez un colon, je vais maintenant vous présenter le forçat concessionnaire.

Lorsque le condamné-candidat a terminé son stage et qu’on a des lots de terrains disponibles, si, d’autre part, il est âgé de moins de cinquante ans, reconnu suffisamment valide par le médecin, et s’il possède un pécule d’au moins deux cents francs, il reçoit l’investiture d’un fief de quatre ou cinq hectares situé dans l’un des centres agricoles : Bourail, Fonwary, le Diahot, Pouembout. En guise de lettres-patentes, on lui délivre un titre provisoire de propriété ; il échange au magasin sa livrée grise contre un costume de toile bleue, et, pour achever la transformation, on lui permet de laisser pousser ses cheveux et sa barbe. Le voilà redevenu, d’aspect, un homme comme les autres : sa femme, ses enfans, n’hésiteraient pas à le reconnaître. Quel soupir de satisfaction doit gonfler sa poitrine quand on lui notifie la bienheureuse décision depuis tant d’années attendue !

Les premiers mois sont durs, néanmoins ; mais que ne supporterait-on pour posséder une parcelle de cette liberté dont une longue absence a révélé tout le prix !