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essayer de réfuter une aussi solide objection : n’étant pas philosophe, je me garderai de le tenter. Ce dont je suis certain, par exemple, et cela pour l’avoir constaté, — c’est que les faits donnent raison au paradoxe contre la logique, c’est que le phénomène suivant n’est pas rare : le mélange de mauvais élémens produisant un tout fort acceptable. Si bien que la majorité des ménages de concessionnaires peut être comparée à nos ménages de paysans au point de vue de la conduite.

En ce qui concerne la progéniture de ces accouplemens de parias, voici un renseignement que je garantis et qui déconcerte complètement la fameuse loi d’atavisme : depuis près de vingt ans que l’on met des forçats en concession, pas un seul enfant d’origine pénale n’a été l’objet d’une poursuite correctionnelle. Expliquera cela qui pourra.

Entendons-nous, cependant : je n’ai pas la prétention de prouver que les centres de concessionnaires soient habités par des aspirans au prix Montyon, et je sais fort bien que si l’honnêteté et la chasteté disparaissaient de nos villes, elles n’auraient vraisemblablement point l’idée de se réfugier à Bourail.

Ce qui est vrai, ce que je veux dire, c’est que l’influence des milieux est telle sur l’âme humaine qu’elle transforme non-seulement le condamné lui-même, mais encore, par un bienfaisant choc en retour, ceux qui vivent de son existence.

Et puisque j’ai prononcé le nom de Bourail, je ne résiste pas au désir de vous demander de vous y promener un instant avec moi. C’est une excursion qui en vaut la peine, d’abord parce qu’elle est unique, ensuite parce qu’on y rencontre à chaque instant des vérités qui ne sont pas vraisemblables.


IV

Les bateaux qui font le « tour de côte » sont si horribles, que je ne vous engagerai pas à les prendre, même en imagination. Suivons donc la route qui longe le rivage ; elle est excellente et, de plus, fort pittoresque. Son point terminus est Bouloupari : gendarmerie, camp de condamnés, bureau de poste et de télégraphe, maison d’école, quatre débits, deux auberges, un maire, deux adjoints, quelques moustiques, beaucoup de puces.

Nota bene : Il y a quelques années, le gouverneur[1] prit, sur la demande de la municipalité, un arrêté aux termes duquel Bouloupari fut autorisé à ajouter une s à la dernière syllabe de son nom, en sorte que les quatre débitans jouissent officiellement du

  1. M. Pallu de La Barrière.