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corps de santé sont en outre chargés d’assurer les soins médicaux à tous les habitans du centre, service extrêmement pénible et qui exige d’incessantes courses à cheval ; aussi, quand ces messieurs ont accompli leur période de résidence réglementaire, ils sont devenus d’intrépides cavaliers.

Beaucoup moins occupés sont les gendarmes. Étrange, n’est-ce pas ? mais c’est ainsi : les crimes sont rares au pays des criminels.

La maréchaussée se distrait de son inaction en allant à la chasse aux perruches et aux pigeons verts ; elle a de plus l’agrément d’être fort bien logée et de jouir d’une vue superbe.

Pas grand’chose à dire des écoles primaires, dirigées par des congréganistes : les « petits pays chauds » ne font guère plus de fautes d’orthographe que les Occidentaux. Pourtant, j’ai éprouvé une sensation désagréable en voyant les enfans du commandant assis côte à côte avec des enfans délibérés et de condamnés ; l’excès en tout est un défaut, même s’il s’agit d’égalité et de fraternité. À la vérité, ces jeunes écoliers n’étaient pas mêlés aux autres pendant les heures de récréation où une femme reléguée les surveillait.


J’ai gardé pour la fin le « couvent, » autrement dit, en style officiel, la « maison de force et de correction pour les femmes. » C’est une construction basse, irrégulière, d’aspect renfrogné, entourée d’un mur lézardé. On traverse, pour arriver à la porte d’entrée, une cour où s’étiolent quelques arbres rabougris et au centre de laquelle s’élève un kiosque en treillis vert dont je vous révélerai tout à l’heure la bizarre fonction.

Une religieuse vient nous ouvrir et nous introduit dans un étroit parloir aux murs blanchis à la chaux : un crucifix, quelques images de piété, cinq ou six chaises de paille constituent le mobilier de cette pièce, la plus luxueuse de l’établissement.

Quelques instans après, la supérieure arrive, suivie de son fidèle chef d’état-major, l’excellente sœur Agnès. Malgré son âge avancé, elle est très alerte ; des yeux pleins de bonté et aussi, parfois, de malice éclairent son visage franc et ouvert qu’encadre la cornette aux larges ailes blanches. Quant à la sœur Agnès, c’est la gaîté en personne. Du reste, toutes les religieuses attachées au « couvent » de Bourail ont, — comment dirai-je ? — l’air « bon enfant. » L’habit de l’ordre de Saint-Joseph de Cluny semble les avoir laissées femmes : elles ignorent les circonlocutions, les lèvres pincées, les yeux baissés et le ton doucereux.

Si j’étais chargé d’assigner un rang à toutes les héroïnes de l’abnégation qui consacrent leur vie, comme les petites sœurs des