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pauvres et les filles de la charité, à soulager les douleurs humaines, je ne sais pas si je ne décernerais point le prix aux sept ou huit nonnes bien ignorées, réunies dans le « couvent » de Bourail.

Leur dévoûment s’est imposé une tâche plus étonnante encore à mon avis que celle qui consiste à panser des plaies, à respirer des miasmes empoisonnés, à soigner des infirmités répugnantes, c’est celle de contempler avec un regard pur des spectacles d’une immoralité révoltante, d’entendre avec des oreilles chastes les propos les plus orduriers.

Oculos habent et non videbunt ; aures habent et non audient.

La respectable supérieure veut bien nous faire elle-même les honneurs de la maison. Cet établissement abrite environ quatre-vingts femmes envoyées en Nouvelle-Calédonie pour réaliser les rêves matrimoniaux des concessionnaires célibataires ou veufs. Précisément, ces dames sortent du réfectoire et se promènent dans le préau. Notre apparition, — tant pis pour notre modestie, — cause parmi elles une sensation profonde : ce ne sont partout, sur notre passage, que révérences campagnardes ou prétentieuses, que sourires engageans ou pudiques, que des « oui, ma mère » pleins de soumission, adressés à la supérieure, mais en réalité destinés à nous faire entendre des voix qui se rendent humbles sans parvenir, hélas ! à paraître argentines.

La plupart de ces femmes sont laides et affreusement vulgaires ; cinq ou six seulement sont jolies. La plus remarquable est une brune dont la tournure élégante, les traits réguliers et distingués contrastent avec les allures communes et les figures flétries de ses compagnes.

— C’est une fameuse coquine, nous dit la supérieure. Venue ici comme condamnée à perpétuité pour meurtre, elle a consenti, pour sortir de cage, à épouser un Arabe, Mohammed ben Turquia, concessionnaire ; quelques jours après son mariage, elle avait disparu, emportant les hardes et tout l’argent du bonhomme. À peine était-elle remise sous clé, que son mari vint la réclamer : on la lui rendit ; le soir même, ben Turquia était de nouveau sans femme et sans argent. Vous croyez que l’Arabe en a eu assez ? Pas du tout. Plusieurs fois la comédie s’est renouvelée, et hier encore ben Turquia est allé supplier le commandant de lui rendre l’infidèle, mais on la lui a refusée. Elle va donner du fil à retordre !

À propos de caractères indomptables, continua-t-elle, il faut que je vous montre ce que nous avons de mieux en ce genre.

On nous ouvre la cellule n° 2 occupée par une femme jeune, fluette, pas trop laide. Cette reclusionnaire purge une punition d’un mois de cachot pour avoir commis le délit d’outrages à la force