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dans un petit bateau qui me fera arriver trois heures avant les galères. Ligne y vient avec moi. Je fais des vœux pour que l’impératrice ne puisse pas y arriver pour dîner ; car elle y passerait alors la journée de demain. Le prince Potemkin me le disait hier soir et faisait les mêmes vœux que moi. Mais l’ambassadeur de l’empereur est, toute la journée, à dire que son maître part aujourd’hui de Léopol, et cela fait presser l’impératrice qui l’a déjà fait attendre longtemps. Comme elle veut aller par eau jusqu’à Kerson et passer les cataractes, elle sera plus longtemps en chemin qu’elle n’avait compté. À sa place j’en ferais bien autant, car je n’ai rien vu de plus charmant que cette manière de voyager. C’est vraiment une fête continuelle et des plus superbes : une société charmante, — car Ligne et Ségur y font grand bien, — voyager sans s’en apercevoir que par les changemens de tableaux, bonne chère, l’impératrice plus aimable que jamais, passant avec elle depuis onze heures jusqu’après le dîner et depuis six heures jusqu’à neuf. Hier, je n’allai pas chez Momonof parce que je voulais causer avec le prince relativement au roi que je vais voir. Il sera reçu avec le plus grand cérémonial ; les galères seront en bataille et le salueront du canon. Tous les canots iront le chercher avec les grands officiers de l’impératrice. L’on a fait préparer des tables pour toute sa suite. Tous les seigneurs qui sont avec lui dîneront avec l’impératrice. L’on a mis pour cela la suite de l’impératrice à une autre table, et, malgré l’ambassadeur de l’empereur, je ne désespère pas que, si même l’on arrive aujourd’hui à dîner, l’on ne reste demain. Cela dépend de l’aise où le roi la mettra. D’ailleurs il fera pour ses affaires à peu près ce qu’il voudra. Je vous écrirai après l’entrevue. Adieu, me voilà coiffé ; je vais vite partir.


« Quoique l’impératrice ait vu le roi avec grand plaisir, elle n’en a pas moins été embarrassée. Le cérémonial la fatigue, et la séparation s’est faite aujourd’hui même ; mais les affaires du roi iront bien. Il a dans le prince Potemkin un ami et n’en doute pas. Il est deux heures du matin. Nous venons de Kanief où nous avions été souper. Le prince Potemkin est déjà parti pour Krementchul, et, nous, nous partirons à quatre heures du matin ; mais, moi, alors je dormirai ; car je n’en puis plus de fatigue. Bonsoir. Il est temps de dormir ; je n’en puis plus ; je n’ai plus que la force de vous embrasser.

« P.-S. — L’impératrice a envoyé l’ordre de Saint-André au roi, comme elle l’a donné au roi de Suède lorsqu’il a été à Saint-Pétersbourg. »