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La correspondance du prince de Nassau s’interrompt brusquement ici, soit que les lettres suivantes aient été égarées, soit qu’il n’ait pas écrit de quelques jours. Son récit ne reprendra qu’au moment où Catherine entrera en Crimée. Plus rien donc sur l’entrevue de Kanief, cette rencontre préparée avec tant de zèle et où, en somme, Stanislas, comme le remarque le prince de Ligne, qui lui rend du moins le service de relever ses jolis mots, a dépensé trois mois et trois millions pour voir l’impératrice pendant trois heures.

En atteignant Krementchul, on quittait le gouvernement du maréchal Romanzof pour entrer dans celui du prince Potemkin. Pas un mot sur les féeries qui, dans le plan de l’organisateur de cet étrange voyage, devaient surtout commencer là.

Rien non plus sur l’arrivée inopinée de Joseph II, — ou plutôt du comte de Falkenstein ; — et, ici, la lacune est d’autant plus regrettable que le prince de Nassau eût pu nous donner des détails plus curieux. Joseph II, n’ayant pas trouvé Catherine à Kerson, part presque seul à travers la steppe comptant la surprendre à Kaydac. Mais, avertie à temps, l’impératrice a quitté sa flottille et, montant précipitamment dans une voiture où elle n’emmène avec elle que le prince Potemkin, le comte Branicki et le prince de Nassau, elle accourt au-devant de lui. C’est près de la cabane isolée d’un cosaque, en plein désert, que se rencontrent les deux grands souverains ; puis, revenus ensemble à Kaydac, ils auraient dû, dit M. de Ségur, grâce à un accident qui empêche leur escorte de les y rejoindre avant le lendemain matin, se passer de souper, « si Potemkin, Branicki et Nassau ne leur avaient fait, comme ils le purent, un repas qui fut très gai, mais aussi détestable qu’on pouvait l’attendre de si nobles cuisiniers. »

Rien enfin sur un incident qui dut cependant, à son heure, préoccuper singulièrement le prince de Nassau, puisqu’il faillit arrêter son voyage dès Kerson, en coupant court bien mal à propos à la bienveillance, de jour en jour plus sensible, affectée par Catherine pour tous ceux qu’elle savait souhaiter un rapprochement plus marqué de la Russie et de la France : disposition toute nouvelle chez elle et, peut-être, la meilleure explication du succès si subit du prince de Nassau.

Quand M. de Ségur avait quitté Czarkoe-Selo avec l’impératrice, tous deux venaient de signer un traité de commerce. Dans la pensée de M. de Ségur, ce n’était là que le premier pas vers une alliance complète et formelle des deux nations. À ses yeux, comme aux yeux du prince de Nassau, une guerre entre la Russie et la Porte était inévitable, sinon imminente, et, convaincu d’avance, sur des