Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/555

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

radical, tout politicien qui n’a pas un pied d’olivier hors des murs, qui ne va jamais dans la campagne, et ne la connaît que pour l’avoir traversée en chemin de fer, est un partisan décidé du bonificamento. Pour nous autres, c’est différent : la question est moins simple à résoudre. Nous retirons 5 pour 100 de nos terres, aménagées comme elles le sont aujourd’hui, comme elles n’ont pas cessé de l’être depuis des siècles. On nous demande de remplacer nos prairies, qui se louent fort bien, par des champs de blé. Mais le défrichement est coûteux. Le blé se vend très mal, et il a été constaté en plusieurs points, notamment dans le lit desséché, « bonifié, » du lac Fucino, qu’il épuisait rapidement notre sol. On nous offre donc simplement de perdre de l’argent. Il n’y a pas de quoi se montrer enthousiaste. Qu’on nous dégrève, qu’on nous aide, et nous nous prêterons aux expériences des théoriciens, tout en demeurant sceptiques. Car on a beaucoup exagéré cette insalubrité… »

L’un de ceux qui me tenaient ce discours, dans le salon d’un des grands cercles de Rome, arrivait d’une course dans la campagne. Il s’interrompit pour demander, sans prendre garde au rapprochement : — Garçon, un verre de vermout et de quina… beaucoup de quina.

Le partisan des réformes. — « Il faut avoir la franchise d’avouer que les auteurs de la loi de 1883 ont commis des erreurs. Ils n’ont pas tenu compte, par exemple, de ce fait que certains points de la campagne sont incultivables. Leurs dix kilomètres ne signifient rien, et le collège des ingénieurs agronomes a rédigé récemment, et s’occupe de faire discuter une loi nouvelle qui changerait cette zone irrationnelle en un grand éventail ayant Rome pour base, et pour côtés les voies Casilina et Ardeatina. Les imperfections pourront se corriger. Mais ce qui est nécessaire, monsieur, c’est que nous ayons une loi sur la bonifica de l’Agro, et une loi appliquée. Les Italiens émigrent par véritables armées tous les ans, et nous avons à nos portes un désert capable de nourrir des centaines de mille d’habitans. Est-ce tolérable ? Faut-il que l’égoïsme de quelques-uns soit un obstacle perpétuel à l’assainissement de la campagne, à sa mise en culture, à l’agrandissement de Rome, car Rome demeurera une petite ville tant qu’elle restera ainsi enserrée par la fièvre ? Et que nous oppose-t-on ? Que le blé ruine les terres de l’Agro ? Je le crois, quand on sème indéfiniment du grain dans une terre qui n’est jamais fumée ! Que les propriétaires ne sont pas assez riches pour supporter de pareilles dépenses ? qu’ils ne trouvent à emprunter qu’à 8 et 10 pour 100 ? Je l’admets. Nous voulons précisément la création d’une grande société agricole, qui sera obligée, par ses statuts, de prêter à un