appartenant à 31 provinces, payaient irrégulièrement leurs maîtres d’école, et se trouvaient en retard vis-à-vis de 1,045 de ces intéressans créanciers. C’est là un lait officiel. Mais la vie quotidienne en offre mille autres qui ne sont pas moins significatifs. Je me souviens qu’il y a deux ans, un employé des télégraphes italiens m’avait payé un mandat en or. Je lui en avais fait mon compliment, dont il avait souri. Cette fois, j’ai eu moins de chance. Je n’ai vu de pièces d’or que celles que j’ai données. La pièce d’argent de 5 lires est introuvable, celles de 2 lires et de 1 lire n’abondent pas, et, souvent, dans les petits pays, on vous proposera, si vous changez un billet, de vous le payer en billon. Dix francs de sous ! je les ai dû accepter, après avoir cherché mieux. C’est très lourd ! Et si vous demandez la raison de cette rareté de la monnaie d’appoint, on vous répondra, comme on m’a répondu : « Una piccola combinazione, monsieur. Écoutez bien, Voici la spéculation imaginée par un certain nombre de nos compatriotes. Ils récoltent les écus de 5 lires, les pièces blanches de 1 et de 2 lires, les mettent en sacs, et leur font passer la frontière, souvent en contrebande. Or, dès que les lires italiennes ont franchi les Alpes, elles deviennent des francs, c’est-à-dire qu’elles gagnent de 3 à 4 pour 100 sur notre marché. Il ne reste plus à l’heureux collectionneur qu’à tirer une lettre de change sur la France ou la Suisse pour se faire un gentil revenu, qui ne lui a rien coûté… Grâce à ce procédé, pour une bonne part du moins, notre voisine l’Helvétie s’est trouvée en possession, — elle a terminé son inventaire récemment, — de 80 millions de notre argent. Vous en avez bien davantage. »
On pourrait multiplier les exemples. À quoi bon ? Les Italiens avouent volontiers leur pauvreté. La comparaison entre la France riche et l’Italie qui ne l’est pas leur est sans cesse présente : elle est même pour beaucoup dans le sentiment de jalousie, — bien plutôt que d’inimitié, — dont certains sont animés vis-à-vis de nous. Ils se sentent arrêtés ou gênés dans leurs entreprises, dans leurs grands travaux d’intérêt général, par le manque de capitaux. Et cette blessure d’amour-propre est avivée, chez eux, par la conscience très justifiée de leur mérite.
On ne peut pas séjourner, à plusieurs reprises, en Italie, sans être frappé, en effet, de la somme considérable de travail et d’intelligence qui s’y dépense, des projets de toute nature qui s’y agitent, de la valeur des hommes qu’on y rencontre. Et l’on vient à songer : « Une Italie qui arme et qui s’épuise pour armer est loin d’être, comme on l’a dit, une quantité négligeable. Mais une Italie qui se recueillerait et épargnerait serait bien redoutable. Tout est prêt chez elle pour un essor. Il lui manque l’argent. Si elle savait ! »