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à Rambouillet, pour avoir des béliers et des brebis semblables. « Oui, monsieur, me dit avec conviction mon hôte : il a télégraphié, il s’en est remis complètement à la loyauté du directeur, et, telle est l’honorabilité de vos grands établissemens français, qu’il a reçu des animaux aussi parfaits que ceux que j’avais été choisir moi-même ! »

Mais, sans trop l’avouer, — car on me prend un peu pour un agronome, et c’est toujours dommage de détruire une illusion flatteuse, — je trouve un bien plus vif plaisir à flâner dans la cour où sont réunis les gens de la tenuta. Je ne vois guère que des hommes, vêtus de noir, quelques-uns portant le manteau, l’air assez dur, causant par groupes. Ils viennent d’entendre la grand’ messe, chantée à l’occasion de la fête patronale, dans la très vieille église accolée à l’espèce de château qui forme le fond. Parfois un groupe s’ébranle, et entre dans un bâtiment long et bas, l’aile droite de la cour. J’entre à mon tour. Ils boivent et fument dans une des pièces occupées par cet industriel indispensable et presque toujours florissant de la campagne romaine : le cantinier. Chaque ferme est une véritable ville qui doit se suffire à elle-même et suffire aux environs habités, s’il y en a. Elle est l’unique ressource, le centre d’approvisionnemens. Le cantinier de Santa-Maria, un Suisse dont le visage rose fait un singulier contraste avec les visages barbus et bronzés de ses cliens, vend de la charcuterie, de l’épicerie, du vin, des étoffes, tout ce qu’on veut. Je lui achète une boîte de cigarettes égyptiennes, que je distribue, à la grande joie des barbes noires, qui s’écartent pour sourire. J’apprends qu’il fait de bonnes affaires, environ 50,000 francs par an, et qu’il paie une redevance de 500 francs par mois.

Une soutane rouge, deux soutanes rouges traversent la cour. Ce sont des élèves du collège austro-hongrois, amenés à la fête de Santa-Maria par leurs supérieurs, auxquels le domaine appartient. Je suis ici dans un patrimoine ecclésiastique, concédé par je ne sais plus quel pape, pour l’entretien d’un séminaire autrichien à Rome. Le passage des clercs indique que les dignitaires du collège vont eux-mêmes bientôt sortir de l’église, et que le dîner va sonner. Je n’ai que le temps de parcourir le jardin, situé de l’autre côté de la cantine.

Mon Dieu, que ce doit être joli au printemps, ce jardin abrité, en partie planté d’orangers et de mandariniers ! Même en hiver il a son charme. On devine la forme des arbres grêles qui n’ont plus de feuilles, et où seront les fleurs, et combien la vue sera douce sur les moissons déjà hautes ; les citronniers, plus délicats, paraît-il,